L'Italie et son or

Franck Abed


L’envolée récente du prix de l’or, désormais au-delà des 4 000 dollars, ravive en Italie un débat ancien mais jamais tranché : celui de la souveraineté monétaire et du statut des réserves détenues par la Banque d’Italie. À mesure que la valeur du métal jaune grimpe, l’appétit politique se réveille, comme si le pays redécouvrait l’existence d’un patrimoine silencieux, dormant dans les coffres, mais capable de nourrir toutes les ambitions.

Plusieurs sénateurs proches de Giorgia Meloni ont relancé le sujet en présentant un amendement affirmant que les réserves d’or, jusqu’ici considérées comme détenues par la Banque centrale, appartiennent en réalité à l’État, et donc au peuple italien. Cette prise de position n’est pas anodine. Elle vise à clarifier une zone grise juridique que la technocratie européiste s’est toujours bien gardée d’éclairer : l’or national appartient-il véritablement à la Nation ou à l’organisme qui en assure la garde ? En cherchant à rattacher formellement ce trésor au Trésor public, ces parlementaires entendent replacer la souveraineté au cœur du débat économique.
La démarche italienne se révèle d’autant plus frappante qu’elle rappelle le précédent français. Entre 2004 et 2009, la France a vendu près de 20 % de ses réserves d’or. Les premières ventes ont été réalisées autour de 400 dollars l’once, avant que le prix ne grimpe progressivement jusqu’à plus de 800 dollars au cours de la période. Les recettes espérées furent modestes ; le manque à gagner, immense. L’épisode est souvent présenté comme une erreur stratégique majeure. L’Italie, instruite par cet exemple, ne souhaite visiblement pas suivre ce chemin.
Un autre sujet pèse dans l’ombre, rarement évoqué mais pourtant essentiel : l’emplacement des réserves. Une part significative de l’or italien est stockée hors du pays, notamment aux États-Unis, dans les coffres de la Réserve fédérale de New York. Ce choix, qui remonte à la Guerre Froide, interroge désormais. Car à l’heure où les relations internationales se recomposent et où la géopolitique retrouve son tranchant, peut-on vraiment parler de souveraineté lorsqu’un tiers de son patrimoine stratégique se trouve à l’étranger ? 
Certains voient dans ces réserves un moyen de financer des projets publics, de réduire la dette ou de soutenir les dépenses militaires. Je pense qu'il s'agit d'une tentation compréhensible mais dangereuse. Financer l’État à partir de son or revient à admettre qu’il ne dispose plus de marges budgétaires suffisantes. Emprunter représente une voie de facilité qui permet de différer les réformes sans jamais résoudre les déséquilibres structurels. Une Nation qui commence à entamer son patrimoine ultime prend le risque d’affaiblir ses fondations et d'hypothéquer son avenir.
Au fond, la question dépasse largement le cas italien. Elle renvoie à la manière dont les États envisagent leur avenir. Une Nation doit-elle utiliser son or pour combler ses déficits ou préserver ce métal comme une garantie ultime en temps d’incertitude ? L’or ne peut pas être considéré comme une simple valeur financière : il incarne une part de continuité historique, de stabilité et de souveraineté. Le dilapider pour financer des dépenses immédiates reviendrait à rompre un pacte implicite entre le passé, le présent et l’avenir.
Plutôt que de chercher dans leurs réserves la solution à leurs difficultés, les gouvernements ne devraient-ils pas concentrer leurs efforts sur la création d’un environnement économique permettant à leurs entreprises d’investir, d’innover et de prospérer durablement ? Une souveraineté authentique ne se construit pas en vendant ses trésors, mais en créant les conditions pour ne jamais avoir à y toucher...

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