Entretien avec Mayenne Aujourd’hui consacré au retour du Roi et la Monarchie de droit divin

Les questions ont été posées par Pierre d’Herbais, fondateur et rédacteur en chef du média Mayenne Aujourd’hui


Bonjour Monsieur Abed, merci d’avoir accepté cet entretien. Votre parcours intellectuel est riche et singulier, notamment vos réflexions sur la monarchie en France. À une époque où ce thème est peu exploré, je trouve votre travail particulièrement intrigant. Pour commencer, qu'est-ce qui vous a conduit à cette quête pour le retour de la monarchie ?


Mon papa est issu d’un milieu social très modeste et ouvrier. Il n’a pas eu l’opportunité de suivre un parcours scolaire. Par conséquent, une fois adulte et chef de famille, il a décidé que, le moment venu, son fils lirait un maximum de livres. A l’âge de dix ans, mon père a commencé à emprunter chaque semaine, à la bibliothèque de son entreprise, des livres historiques ainsi que des romans classiques (Zola, Hugo, Verne essentiellement). Quand vous lisez des livres d’histoire, vous finissez tôt ou tard par découvrir la magnifique histoire de France et vous en tombez amoureux.


Dès mes premières lectures, mes personnages préférés étaient Auguste, Louis XIV, Napoléon : tous monarchistes. Depuis, mon Panthéon personnel s’est enrichi d'autres grandes figures, qu'elles soient monarchistes françaises ou étrangères. Rapidement, j’ai compris que le gouvernement en un seul offrait des avantages incomparables : légitimité, tradition, autorité, unité, vision à long terme.

En approfondissant les questions philosophiques, politiques et doctrinales, on découvre que la France est née du baptême de Clovis et de ses 3000 guerriers. Le baptême de Clovis par Saint Rémi et le sacre des rois de France restent des éléments fondamentaux de la dimension charnelle de notre pays. Il existe une analogie très forte entre le baptême de Clovis et celui du Christ, car durant les deux cérémonies, l’Esprit Saint apparaît sous la forme d'une colombe. De même, si la France est devenue la Reine des Nations, elle le doit à cette institution méconnue et injustement critiquée qu'est la monarchie catholique.

En lisant des livres d’histoire, chaque lecteur réalise que nous sommes à des années lumières des légendes noires forgées au fil des années par des propagandistes qui ne reculent devant aucun mensonge. Ces derniers déclament, sans aucune honte, que la société féodale se résumait à « des gentils serfs et des méchants seigneurs ». La caricature outrancière ne se conjugue pas avec une saine analyse historique. Le combat pour la restauration de la monarchie en France, en plus de promouvoir un sain projet politique, incarne un projet de civilisation et une promotion de la vérité historique.

Vous parlez souvent de monarchie de droit divin. Pouvez-vous nous expliquer comment cette forme de monarchie pourrait fonctionner dans une société moderne ? Qu'est-ce qui, selon vous, ferait que ce système serait plus juste et efficace qu'une république ?


Je précise d’emblée que chaque période se définit comme moderne par rapport à la précédente. Il s’agit d’une logique implacable. Ainsi, une monarchie pourrait très bien fonctionner en France à l’époque contemporaine, même et surtout à l’heure de notre monde informatique et technologique. Dans notre pays, il a toujours existé des progrès techniques et scientifiques, comme en témoignent les 1300 ans de monarchie. Par exemple, nos adversaires dépeignent souvent les Temps Féodaux comme une période sombre et obscure, alors qu’elle fut une période haute en couleurs, au cours de laquelle nos ancêtres tapissèrent l’Europe de merveilleuses cathédrales. Pour bâtir ces monuments prodigieux, nos anciens devaient nécessairement maîtriser de nombreuses techniques ; nous pouvons même parler d’art.


Dans le même ordre d’idées, ne perdons jamais de vue que les machines, les ordinateurs et les smartphones ne sont que des outils, un moyen et non une fin en soi. En conséquence, la technologie doit œuvrer pour le Bien Commun et non réduire l’Homme à l’état d’esclave de la cybernétique. Jamais un roi catholique ne consentirait à l’émergence de ce funeste projet.


Dès à présent, il me semble essentiel d’expliciter le terme de monarchie de droit divin. Comme vous le savez certainement, les hommes ne désignent pas le roi. De plus, lors du Sacre de Reims, le roi se soumet à Dieu et prête le serment de légiférer selon la loi naturelle, c’est-à-dire le droit divin, d’où l’appellation monarchie de droit divin. Il reconnaît bien évidemment la Révélation et l’Institution, l’Eglise, qui en garde le dépôt, envers et contre tout, quelles que soient les vicissitudes de l’époque.


De plus, le roi n’est pas tenu par des intérêts étrangers, financiers ou capitalistiques, d’où le terme de roi absolu, qui signifie en réalité sans lien. Concrètement, le roi ne doit pas sa place à une élection, à une puissance étrangère ou à une coterie. Il est, tout simplement. Le réel avantage de la monarchie reste, entre autres, que la première place de l’Etat ne peut être soumise à la compétition. Depuis l’Antiquité greco-romaine et les grandes tragédies associées, nous savons qu’élection rime forcément avec mensonge, démagogie, corruption et trahison. Il suffit d’ouvrir les yeux sur notre actualité politique pour nous rendre compte de la permanence singulière de ces faits regrettables.


Je poursuis mon propos en citant l’illustre Saint-Thomas d’Aquin qui a écrit dans la Somme contre les Gentils : « Dans tout gouvernement, celui qui préside désire l’unité ; c’est pourquoi de tous les gouvernements, le principal est la monarchie ou la royauté ». En politique, la recherche et la préservation de l’unité doit être constamment promue car « tout royaume divisé contre lui-même périra; et toute ville, toute maison divisée contre elle-même sera détruite » (Matthieu 12 : 25). Ainsi, le gouvernement en un seul se révèle bien plus fort, stable et cohérent que le gouvernement de tous par tous ou le gouvernement de la multitude ou des intérêts privés.


De fait, le roi règne en conformité avec la loi divine et naturelle ; sinon, il sait pertinemment qu’il met son âme en danger. Il représente Dieu sur Terre, tenant lieu de son autorité, responsable du bien-être de ses sujets et soumis à des principes moraux et religieux qu’il ne tire pas de lui-même, mais de la Bible, du Magistère de l’Eglise et de l’expérience politique des siècles. Enfin, dans une monarchie catholique, le Beau, le Bien et le Vrai sont promus, et le Mal n’a pas le droit de cité.


Concernant l’efficacité, il me paraît judicieux de rappeler que Louis XIV était entouré de 4 à 6 ministres, selon les périodes. De même, les historiens estiment que le Grand Roi pouvait compter sur 20 000 à 25 000 fonctionnaires royaux. Ces serviteurs de l’Etat royal comprenaient des intendants (représentants du roi dans les provinces), des collecteurs d’impôts et des officiers de justice. Aujourd’hui, en République, nous avons entre 20 à 30 ministres et un gouvernement peut aller jusque quarante membres, auxquels s’ajoutent presque six millions de fonctionnaires.

Quand nous comparons, objectivement, les réalisations exceptionnelles accomplies au Grand Siècle et celles de la Ve République en tenant compte des moyens humains, techniques et financiers respectifs, il ne subsiste guère de doute quant au régime le plus efficace pour la grandeur de la France. A l’heure où les initiatives budgétaires de l’actuel Premier ministre sont décriées et contestées, je lui propose de réelles pistes pour réduire la dette astronomique de la République…

Beaucoup associent la monarchie à une nostalgie du passé, alors que vous semblez y voir une solution d'avenir. Pensez-vous qu’il soit réaliste de parler du retour d’un roi dans une époque où les démocraties parlementaires dominent la scène mondiale ? Quelles seraient les premières étapes concrètes pour un tel retour ?


Je ne suis pas royaliste par atavisme familial ou en vertu d’une nostalgie ancienne, ou à cause d’un romantisme à l’eau de rose. Je suis royaliste parce que catholique romain. Je précise également que ma raison et l’analyse politique me conduisent au royalisme. Il est malheureusement vrai que certaines personnes qui se déclarent royalistes expriment un passéisme de mauvais aloi. 


Nous ne voulons pas retourner dans le passé. C’est une position absurde, notamment par le simple fait que la chose s’avère impossible. Nous désirons seulement revenir aux principes qui régissaient le passé. Le monarchisme ne souffre pas des aléas du temps, car il est intemporel. Il ne s’enferme pas ou ne se cantonne pas à une époque donnée. Raison pour laquelle il garde toujours sa pertinence nonobstant les siècles qui passent.


Je tiens à rappeler qu’il existe une cinquantaine de monarchies dans le monde et une centaine de démocraties. Le nombre exact de régimes monarchiques ou démocratiques peut varier légèrement en fonction des critères spécifiques retenus. Quoiqu’il en soit, il existe bien plus de monarchies que chacun ne le pense communément. 


Ainsi, être monarchiste n’exprime nullement une lubie ou une tendance, mais un principe bien incarné même dans le monde de 2024. Pour que les Français deviennent monarchistes, ils devront renouer avec leur histoire et leurs traditions séculaires. Aujourd’hui, malheureusement, comme nous l’avons encore récemment éprouvé lors des élections Présidentielle, Européennes et Législatives, le virus démocratique reste bien inoculé chez nos compatriotes, même si l’abstention représente très souvent le premier parti de France.

Par exemple, au premier tour de la Présidentielle de 2022, Macron a obtenu 9,8 millions de voix, tandis que l’abstention a atteint 13 millions, sans compter les bulletins nuls ou blancs. Aux Européennes, la première liste en voix, celle de Bardella, a rassemblé un peu moins de 8 millions de Français, alors que l’abstention a en regroupé 24 millions. Aux Législatives, l’abstention figure encore en tête au premier tour avec 17 millions de compatriotes, tandis que le parti qui obtient le plus de voix dans l’urne, à savoir le RN, arrive à peine à 11 millions d’électeurs. Au deuxième tour de ces mêmes élections, nous comptons 15 millions d’abstentionnistes, sans compter les bulletins nuls ou blancs, alors que le RN atteint à peine 10 millions d’électeurs. La seule fois où l’abstention n’occupe pas la première place, sur ces trois dernières élections, fut le deuxième tour de l’élection Présidentielle entre Macron et Le Pen.

Les commentateurs politiques, souvent stipendiés par le système, ainsi que les acteurs politiques, eux aussi financés par des fonds publics, évoquent trop rarement les chiffres mentionnés ci-dessus, car ils mettent à mal leurs petites logiques politiciennes et journalistiques, qui consistent à présenter un peuple de France marchant joyeusement vers ses élus. 


En réalité, le désamour entre les Français et l’institution républicaine s’accroît de jour en jour, comme tout le monde peut aisément le constater. Il en va de même pour les relations entre les Français et les élus, marquées par la méfiance, la défiance, l’hostilité, l’indifférence et même parfois par la violence. Un jour prochain, ces dernières augmenteront proportionnellement à l’aggravation du climat politique en France. Nous pouvons la déplorer, la regretter et la condamner. Toutefois, les élus et les acteurs politiques de premier plan portent une énorme part responsabilité dans le déclin de la France et le climat malsain qui sévit dans notre pays. 


A nous de travailler pour transformer ces abstentionnistes et tous ces mécontents en fervents monarchistes. Comme l’écrivait Talleyrand, qui ne figure pas dans mon Panthéon, dans ses Mémoires : « A force de murmurer le nom du Roi, naîtront l’espoir du Roi, puis la nécessité du Roi ; enfin, la Royauté renaîtra ».  Il aurait également dit : « Il faut murmurer le nom du roi, et ne pas crier le nom de la République ». Aujourd’hui, qui parle de monarchie ? Qui rappelle les actions de Clovis, Charlemagne, Philippe Auguste et Saint Louis ? Trop peu de personnes. En revanche, ceux qui se disent de droite déclarent tous leur amour pour la République et la Démocratie.

Pour voir le Roi gouverner le pays du Palais du Louvre ou du Château de Versailles, nous devons accomplir un véritable travail de formation et de réinformation. Sans cette étape nécessaire de reconstruction intellectuelle et de formation des esprits, le retour du Roi à la tête de l’Etat restera un vain mot. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec des républicains qui le sont par habitude ou par indifférence. Nous n’affrontons pas des masses de fervents républicains comme en 1793. Il est vraiment important de bien saisir cette réalité politique. Le champ des possibles, loin d’être fermé, s’ouvre à nous, à condition de bien tirer les leçons de l’Histoire…


Vous critiquez souvent la politique de droite, même parmi les mouvements qui se veulent conservateurs. Vous semblez penser qu'ils ne vont pas assez loin dans leur défense des valeurs traditionnelles. Quelles sont, selon vous, les erreurs fondamentales de la droite actuelle ?


Je ne pense pas qu’ils ne vont pas assez loin dans leur défense des valeurs traditionnelles. Mon avis personnel ne compte pas en la matière. Je constate simplement qu’ils ne défendent pas les valeurs traditionnelles. Prenons un sujet majeur  qui touche au cœur de l’anthropologie humaine : l’avortement. Soit ils sont pour, soit ils sont indifférents, ce qui revient peu ou prou au même, soit ils vous disent comme Zemmour ou Bellamy : « Je suis contre à titre personnel, mais si nous arrivons au pouvoir nous ne remettrons pas en cause ce droit fondamental pour les femmes ». Le combat pour le respect de la vie humaine de sa conception jusqu’aux fins dernières est un combat fondamental pour les militants politiques authentiquement traditionnels ou de droite. 


Il paraît tout d’abord évident que la droite française dans son ensemble, qu'elle soit dissidente ou aux commandes, n’embrasse jamais véritablement le combat des idées. Elle préfère se limiter aux aspects économiques, gestionnaires et réactionnaires. Elle ne réalise toujours pas qu’elle paie le prix fort de laisser à la gauche tous les secteurs qui façonnent les esprits et les consciences : l’école, l’université, les médias, et bien évidemment la culture.

La droite dite nationale s’est toujours construite en réaction à des événements et, en ce sens, mérite véritablement le qualificatif de réactionnaire, au sens authentique du terme. Incapable d’être l’avant-garde, elle se contente du rôle de la dernière roue du carrosse. Elle subit les assauts de ses adversaires et de la modernité, toujours avec une voire deux guerres de retard.

Dans ces conditions, remporter la victoire s’avère impossible. Alors que la droite sous la Révolution défendait Dieu et le Roi, aujourd’hui, les militants et les sympathisants dits de droite oublient ces deux piliers. Parlez de Dieu, et vous passerez certainement pour un bigot ; évoquez le roi, et vous êtes catalogué comme un nostalgique de l’Ancien Régime. La droite prétendument nationale n’a plus rien de royaliste, de monarchiste ou de catholique.

Les mouvements dits de droite, ou présentés comme tels, défendent tous le principe de laïcité politique, reléguant le catholicisme à la sphère privée. Dans l’arène publique, que ce soit à la télévision, à la radio ou dans les médias de masse, quel homme ou quelle femme politique oseraient énoncer que le Décalogue et le Sermon sur la Montagne doivent être au-dessus des lois humaines et des vaniteux droits de l’homme ? Poser la question revient à y répondre. Lorsqu'ils évoquent le catholicisme ou assistent à un hommage pour Jeanne d’Arc, c’est souvent pour donner le change à un public bien naïf, afin de diffuser une petite photo sur les réseaux sociaux. Ils oublient les fondamentaux du catholicisme et négligent de rappeler la véritable mission de la Sainte de la Patrie : perpétuer la légitimité monarchique.

Définissons clairement le FN / RN : il est démocrate, républicain, parlementariste et laïque, bien loin des fondamentaux de la droite nationale entre les deux guerres, et encore plus éloigné des fondements intellectuels et politiques de la droite originelle. Avec Marine Le Pen (ou même Bardella), la ligne politique de son Rassemblement national, inacceptable mais acceptée par le système, n’apportera rien de bon à la France, bien au contraire. Le fait qu’elle soit une femme n'y change rien, elle défend de mauvaises idées. De plus, elle se montre, comme son père, incapable de prendre le pouvoir nonobstant un contexte politique favorable aux partis présentés comme contestataires au pouvoir macroniste. 

Le dernier point de ma critique pointe certainement l’élément le plus essentiel : Maurras écrivait « Politique d’abord », les disciples français de Gramsci crient « Culture d’abord », mais le véritable discours politique serait de proclamer le principe suivant : « Spirituel d’abord ». Peu importe que l’on se reconnaisse ou non dans l’appellation de droite, nous ne pourrons pas éviter un retour au et du spirituel si nous voulons redresser la France. La droite nationale humanise trop le combat politique, elle l’a complètement laïcisé, renvoyant Dieu aux oubliettes. Les gens dits de droite préfèrent mettre leurs espoirs dans des idoles humaines forcément décevantes.

Si les gens dits de droite continuent leur combat politique en ignorant Dieu, ils engrangeront toujours des défaites. Souvenons-nous de Jeanne d’Arc qui rappelait constamment la conduite à suivre : « En Dieu les gens d’armes combattront, et Dieu donnera la victoire ». Luttons toujours contre nos adversaires, mais il devient urgent de donner à Dieu la place qui lui revient, la première, que ce soit en politique ou dans nos vies privées…

Une autre dimension importante de votre pensée semble être liée à la foi catholique. Vous parlez souvent de la monarchie comme un retour au principe de droit divin, mais aussi comme un élément d'unité pour les chrétiens. Comment conciliez-vous foi et politique dans votre projet de monarchie ? Et comment cette monarchie renforcerait-elle la présence chrétienne dans la société française ?


Il existe un domaine spirituel et un domaine temporel. Conformément à la doctrine catholique romaine, ces deux domaines ne doivent ni être séparés ni confondus ; ils doivent être liés mais distincts. Le temporel doit être soumis au spirituel, et non l’inverse. Mes aînés, engagés dans le combat politique en 1790, se sont élevés contre la Constitution Civile du Clergé. Ceux qui l’ont soutenue siégeaient à gauche de l’Assemblée, tandis que ceux qui s’y opposaient siégeaient à droite. Voter « oui » revenait à affirmer que le spirituel devait être subordonné au politique ; voter « non » signifiait que le politique devait rester subordonné au spirituel. De la même manière, nous retrouvons cet éternel clivage lors du vote sur le veto de Louis XVI : la gauche voulait lui retirer ce droit légitime, tandis que la droite s’efforçait de maintenir cette prérogative royale.


Saint Augustin, l'un des plus grands Pères et Docteurs de l'Eglise, a rédigé La Cité de Dieu, un ouvrage de référence tant théologique que philosophique. Il s’agit d’un chef-d'œuvre intellectuel que tous les catholiques devraient lire et étudier. Dans cette étude, l’évêque d'Hippone distingue deux cités : « Deux amours ont bâti deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu fit la cité terrestre ; l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi fit la cité de Dieu ».

Avec l'avènement de la Révolution et la victoire temporaire du modernisme théologique, philosophique et politique, l'amour de soi a malheureusement pris sa revanche. La soi-disant philosophie des Lumières a produit un corpus doctrinal et politique qui a enfanté, par césarienne, d’une société contre-nature, anti-humaine, et anti-Dieu. Cette société nie les droits de Dieu sur l'Homme et cherche à transformer l'Homme en Dieu.

Pour illustrer cette distinction augustinienne entre la cité de Dieu et la cité des hommes, les notions d’hétéronomie et d’autonomie apparaissent dans des disciplines aussi diverses que la sociologie, l’histoire, la théologie ou encore les sciences politiques. Une société hétéronome trouve sa justification et sa légitimité hors d’elle-même, dans la divinité. Ces sociétés sont bâties sur un système de valeurs issu d’un principe à la fois extérieur et supérieur.La France monarchique était une société hétéronome, car Jésus-Christ y demeurait institutionnellement reconnu comme le véritable Roi.


Pour être concret et le plus didactique possible, j’affirme que le combat qui nous oppose à nos adversaires dépasse largement la sphère politique. Nous vivons une véritable guerre de civilisation, car nous défendons une vision radicalement différente de l’homme, de la femme, de l’enfant, de la société et de leur relation à Dieu.


D’une manière générale, la droite politique ou intellectuelle n’existe pas dans le Grand Forum Public. Nous vivons à la marge, exclus des débats et des controverses intellectuelles. Même dans les médias alternatifs qui comptent, je ne suis pas invité. Pourquoi ? Parce que je rejette l’idéologie révolutionnaire, les principes de 1789 et la Déclaration des droits de l’Homme. Aujourd'hui, l'ensemble de cette caste et de cette sous-caste politico-médiatique valide, à divers degrés, les idées révolutionnaires.


Nous en voyons l'évidence avec la promotion de la démocratie, de l'avortement, de l'euthanasie, de la PMA et de la GPA. Hélas, la constitutionnalisation de l’avortement, marque de la Révolution et de la « Bête », est devenue une réalité dans un silence assourdissant. Les évêques et les partis politiques dits de droite sont restés silencieux ou n'ont publié que des communiqués extrêmement discrets voire tièdes. Ce silence et ces faibles réactions devraient alarmer et réveiller les catholiques authentiques, les incitant à une réflexion et à une prise de conscience salutaire.

Lorsque nous aurons de nouveau un monarque à la tête de l’Etat, il sera naturellement catholique. Il accordera à la religion catholique la première place qui lui revient de droit. Les décisions politiques seront prises en fonction de cette réalité spirituelle, politique et philosophique. Le catholicisme doit être la religion de l’Etat. Il est dangereux pour les âmes et la bonne marche de la société que des fêtes comme Pâques ou Noël soient réduites à des occasions de consumérisme effréné, détachées de leur profonde signification religieuse.


De plus, au lieu de promouvoir le laid, le vide ou l’art contemporain qui défie tout sens esthétique, le Beau sera vraiment remis à l’honneur. Nous célébrerons et soutiendrons ce qui élève l'âme, ce qui s’enracine dans une tradition chrétienne et française. Les patronages, les foires, les traditions locales, provinciales, les pèlerinages, les coutumes seront réintroduis et mis en valeur, non pas par simple nostalgie ou par souci d’esthétisme, mais parce qu’ils reflètent authentiquement ce que nous sommes en tant que peuple, ce que nous avons toujours été et ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être.

En mettant en avant ces piliers de notre identité et de notre foi, la France renouera avec son héritage spirituel, culturel et artistique. Ce travail nous permettra de retrouver cette unité entre le temporel et le spirituel que la modernité a combattue et défigurée.


Aujourd'hui, la France est un Etat laïc, et beaucoup de gens, y compris des chrétiens, trouvent que la laïcité est une protection contre les abus du pouvoir religieux. Comment répondez-vous à ceux qui pourraient voir dans le retour de la monarchie de droit divin une menace à la liberté de conscience et à la diversité religieuse ?


Je rappelle que la France reste un pays authentiquement chrétien. La République en France est laïque. Les chrétiens qui défendent la laïcité républicaine ne comprennent ni le catholicisme, ni les soubassement idéologiques des républicains démocrates. En France monarchique, les abus du pouvoir religieux semblent avoir été très rares voire anecdotiques. Nous ne sommes ni à Genève, ni en Iran, ni en Arabie saoudite.


Je précise, sans aucune réserve, que la résurgence de la monarchie en France ne signifie pas revenir en arrière, mais simplement un retour à l’état normal. Quand un individu est atteint d’une maladie et retrouve la santé grâce à la médecine, personne ne dit qu’il repart en arrière. La même logique s’applique à la France. Notre pays est grandement affligé par le laïcisme, le démocratisme, le républicanisme, le parlementarisme, la culture dite de l’effacement, le relativisme philosophique, etc. La guérison passe inévitablement par la monarchie de droit divin.


Dans la France monarchique, des minorités religieuses, plus ou moins importantes, ont pu vivre paisiblement. Il y a également eu des périodes plus compliquées, au cours desquelles des violences furent exercées contre ces minorités, mais ces événements étaient dus à des contextes très particuliers et douloureux, et non à des principes moraux ou religieux. Sur le même sujet, je rappelle que le gouvernement royal ne pouvait admettre, en vertu de la cohésion sociale et de la cohérence politique, le développement d’un état dans l’Etat. Tout ce qui menace l’Etat dans ses fondements ou toute entreprise qui vise à le déstabiliser doivent être combattues, tout en restant respectueux de la morale et de la vertu, cela va de soi.


Cela étant dit, certains protestants, comme Sully, furent de très bons serviteurs du Royaume. Le futur roi décidera de la politique en la matière, mais à l’aune de la doctrine catholique et de l’expérience des siècles, nous pouvons considérer qu’il existera une tolérance religieuse dont bénéficieront les membres des autres croyances. Il ne faut pas oublier que la monarchie catholique, grâce à l’action de ses plus illustres représentants, fut très souvent la protectrice des petits et des faibles face aux menées des Grands et du Parti de l’Etranger.

Rappelons-nous que Saint Louis rendait la justice sous un chêne. Louis XIV était plus accessible dans les jardins de Versailles que Macron à l’Elysée. La violence politique républicaine se montre bien plus oppressive et néfaste que la violence légitime de l’Etat royal. Les constitutionnalistes enseignent que Macron détient bien plus de pouvoir que n’importe quel roi de France, y compris Louis XIV. Si nous voulons une société saine, juste et heureuse, il convient de remettre l’Eglise au centre du village. 

Que vos lecteurs se rassurent, aucun roi de France ne fut un tyran ou un dictateur au sens moderne du terme. Il n’existe aucun risque pour que cela change lors de la Restauration. Le futur roi de France adoptera les coutumes de ses devanciers dont le plus illustre fut déclaré saint…


Votre intérêt pour la monarchie semble être plus qu'une simple réflexion politique, mais aussi une quête personnelle, peut-être spirituelle. Comment cette quête a-t-elle évolué au fil des années ? Voyez-vous des points de convergence avec d'autres mouvements royalistes ou traditionalistes en Europe, voire ailleurs dans le monde ?


En tant que philosophe, je recherche la sagesse, et comme le disait Saint Ambroise de Milan, l’authentique sagesse se trouve dans la Bible. Vous avez parfaitement raison de dire que mon catholicisme monarchiste puise sa source dans une quête spirituelle, politique et mystique. 


Depuis que je sais lire, je suis monarchiste. Au fil des années, mon monarchisme s’est grandement enrichi sur le plan religieux, philosophique, politique, historique, littéraire, etc. Je ne cesserai jamais de lire, d’apprendre et d’étudier la monarchie, tout comme je continuerai de promouvoir la monarchie catholique, tant qu'il plaira à Dieu.


Je vis mon combat intellectuel et politique comme un sacerdoce. Je me fixe une discipline de fer pour prier, lire et écrire chaque jour que Dieu fait. Les années défilent et je mesure vraiment la grande grâce d'avoir baigné dans la lecture dès mon plus jeune âge ; merci papa. Je ne remercierai jamais assez ma mère de m'avoir fait baptiser quand j'étais bébé, tout comme je la chéris pour sa transmission du catholicisme. La véritable tradition consiste à transmettre ce que nous avons reçu. J’apprécie particulièrement la citation suivante  : « La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu ». 

Malgré les critiques incessantes et souvent fallacieuses de nos adversaires, j’écris que les monarchistes portent un message résolument avant-gardiste. Nous défendons un monde organique, une société pyramidale, hiérarchisée, décentralisée et respectueuse de l’ordre naturel. Dans une époque décadente et centrée sur l'Homme, nous restons fidèles à Dieu. Nous portons un flambeau incandescent que nos ennemis n’éteindront jamais. Nous refusons les idées modernes telles que le suffrage universel, l’égalitarisme, la souveraineté nationale incarnée dans la masse, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le parlementarisme et la laïcisation de l’Etat. Nous devons convertir les Français au catholicisme romain et à la monarchie.

J’ai eu l’opportunité politique de donner des conférences en Ecosse et en Ukraine sur la monarchie française, mais cela remonte à plus de dix ans. Le travail à accomplir en France pour promouvoir la monarchie se révèle immense, surtout en raison des divisions internes entre monarchistes français, sans oublier la prédominance des idées républicaines, démocratiques et nationalistes sur le camp dit de droite.

Cependant, je reste intimement convaincu qu'une Internationale Monarchiste pourrait voir le jour en Europe, pour au moins deux raisons : les autres pays européens souffrent des mêmes maux que les nôtres et l’Europe domina le monde lorsqu’elle était très majoritairement monarchiste…


Pour finir, si vous deviez convaincre quelqu'un qui, comme moi, a des positions différentes sur ce sujet, que diriez-vous pour expliquer pourquoi le retour du roi est une solution aux problèmes actuels de la France ? Quels sont, selon vous, les principaux arguments qui pourraient faire basculer l'opinion publique en faveur d'une monarchie ?


Un point de vigilance très important : il ne faut pas envisager le retour du Roi comme le deus ex machina des tragédies grecques qui réglerait tous les problèmes en claquant des doigts. Le retour du Roi sera préparé par une élite intellectuelle et politique, composée d’une ossature de cadres accompagnés de militants formés, dévoués et tous authentiquement chrétiens. 


Pour répondre précisément à votre question, je citerai le Testament de Saint Rémi : « Apprenez, mon Fils, que le royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l’Eglise romaine qui est la seule véritable Eglise du Christ. Ce royaume sera un jour grand entre tous les royaumes, il embrassera les limites de l'Empire romain et il soumettra tous les peuples à son sceptre... Il durera jusqu'à la fin des temps. Il sera victorieux et prospère tant qu'il sera fidèle à la foi romaine, mais il sera rudement châtié toutes les fois où il sera infidèle à sa vocation. » 


Je me permets également de convoquer Thomas d’Aquin qui a écrit dans le De Regno le propos suivant : « Il est manifeste que ce qui est un par soi peut mieux réaliser l’unité que ce qui est multiple. De même la cause la plus efficace de chaleur est ce qui est chaud par soi. Donc le gouvernement d’un seul est plus utile que celui de plusieurs. »


Les rois de France ont très tôt fixé leur doctrine : le roi, souverain béni par l’onction du sacre, selon une belle formule définie par les juristes, «est empereur en son royaume». Durant des siècles, pour concrétiser cette idée, ils luttèrent à la fois contre les dangers de l’étranger, car nos ennemis étaient prêts à imposer leurs règles à la souveraineté nationale, et contre les périls intérieurs, de ceux qui voulaient limiter la souveraineté du roi en l’encadrant, pour mieux dicter leur loi. Entre ces deux écueils, la France s’est bâtie et a prospéré. Aujourd’hui, la question de la royauté s’impose de plus en plus face au désastre républicain.


La royauté, en tant que régime politique, conférait à l’Etat des qualités que la République ne pourra jamais obtenir : mémoire, unité, continuité, indépendance, souveraineté, responsabilité, légitimité, libertés, etc. L’héritage de la royauté couvre 15 siècles d’histoire, de Clovis à Charles X. Les républicains, pour la plupart, jettent un voile sur la partie la plus importante de notre histoire, car ils défendent une vision idéologique et partiale de la France. Ils refusent l’héritage de nos rois et de notre passé glorieux.


Si nous ne savons pas d’où nous venons, nous ne pourrons aller nulle part. L’unité, sans laquelle il ne saurait y avoir d’autorité véritable et qui est indispensable pour garantir l’indépendance nationale, voilà ce que permet, entre autres, la royauté. La démocratie, au contraire, divise les Français en favorisant la guerre civile permanente. Dans une démocratie, le bien commun, les intérêts supérieurs du pays, passent au second plan après les luttes partisanes que se livrent les différents groupes d’influence. La royauté incarne la continuité dans le temps, loin de la mascarade de l’élection présidentielle. Le roi n’est pas tenu par elle et il ne peut pas tomber dans la malice en énonçant des promesses démagogiques pour se faire élire. Le roi représente le lien vivant entre le passé et le présent, ainsi que l’avenir : « le roi est mort, vive le roi ». Il demeure le chef naturel et légitime de la France. 

Les rois conduisirent la France à son plus haut degré de civilisation. Il importe au roi d’être responsable de sa politique, parce que les intérêts dynastiques et personnels du roi se confondent avec les intérêts nationaux, pour la simple et bonne raison que son fils (ou son plus prochain parent) sera le prochain à régner après sa mort. Vous l’avez compris, le roi gagne à laisser un bel héritage au dauphin, car la prospérité du fils sera le mérite du père. 

Le pouvoir républicain dilue la responsabilité dans les majorités changeantes et relatives. «Après moi, le déluge» ne peut être le mode de fonctionnement du roi. Chaque républicain au pouvoir entend savonner la planche d’autrui pour que celui-ci échoue, afin de récupérer l’assiette électorale à la prochaine mandature. La royauté française ne repose pas sur l’élection au suffrage prétendument universel, qui lie le pouvoir à l’opinion publique, mais également, et n’oublions pas, aux financiers. Ce « je te tiens, tu me tiens» oblige les acteurs politiques à pratiquer une démagogie éhontée pour recueillir des suffrages, et cette mascarade mensongère provoque toujours de nombreux mécontentements.

Pour maintenir la base et contrôler le peuple de France, le régime républicain et démocrate se voit contraint de « jacobiniser » l’administration du pays au détriment des particularités locales. La République a littéralement détruit les libertés municipales, provinciales et professionnelles. Il n’existe pas de vraie légitimité en démocratie puisque le pouvoir repose sur des compétitions électorales. De plus, les partis exercent le pouvoir selon les caprices de l’opinion qui se montre, par nature, très changeante. Je n’exprime ici aucun avis personnel ; j’établis un constat factuel sur le régime républicain en France.

Le souci de continuité est inscrit dans les gènes de la royauté française. Celle-ci se définissait des objectifs précis et déterminés. La lente mais certaine ascension de notre pays en tant que première puissance mondiale fut le fruit d’un labeur constant et efficace. Depuis la Révolution de 1789, notre pays s’enfonce hormis quelques rares période de répit, comme les deux Empires. Qui oserait contester ce déclin politique ? Cette chute et cette anarchie constante contrastent avec l’histoire d’avant la Révolution.


L’Etat royal puise sa légitimité dans l’histoire et les services qu’il a rendus au pays au cours des siècles. Dégagé des soucis électoraux et indépendant des groupes d’influence, le roi sera en mesure de restaurer le pays en vue de l’établissement du bien commun.  La royauté traditionnelle et héréditaire a littéralement construit la France et l’a conduite à son apogée. Les royalistes œuvrent à changer ces institutions. Le régime républicain est condamné par ses échecs, ses déboires et ses turpitudes. Je m’emploie, et bientôt avec vous j’espère, ainsi qu’avec toutes les personnes de bonne volonté, à le chasser hors de France. 

Le salut de notre pays passe inévitablement par la Restauration monarchique ; sinon, notre pays disparaîtra…


Propos recueillis le 14 octobre 2024




[cc] MayenneAujourd’hui2024, dépêches libres de copie 
et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine  




Commentaires