Une récente étude menée aux États‑Unis sur les véhicules autonomes de Waymo révèle qu’après plus de cent cinquante millions de kilomètres parcourus sans intervention humaine, le nombre d’accidents graves chute de plus de 90 %. Sur le plan technique, ce résultat paraît incontestable : confier la conduite à une intelligence artificielle offre une promesse de sécurité forte, tangible et rassurante. L’argument est simple, presque moralisateur : protéger des vies, réduire les drames, minimiser les erreurs humaines.
Pourtant, ce bond en avant technologique soulève une question fondamentale qui dépasse la seule notion d'efficacité : quelle place reste‑t‑il à notre liberté, à notre responsabilité personnelle, lorsque la machine orchestre nos déplacements ? Accepter qu’un algorithme pilote nos trajets revient à consentir qu'un système collecte, enregistre et analyse tous nos déplacements. Chaque parcours, chaque arrêt, chaque changement de direction devient un point de donnée, un fragment d’information stocké et forcément traçable. Dans cet échange tacite entre confort et surveillance, la conduite, jadis acte libre et incertain, se transforme en geste programmé, contrôlé, prévisible.
Ce renoncement progressif à notre autonomie n’est pas neutre. Il ne concerne pas simplement l’acte de conduire, mais la nature même de l’action humaine, faite d’imprévisibilité, de choix et de responsabilité. Quand la machine supprime le risque, elle annule aussi l’erreur, et avec l’erreur, la dignité du choix et le principe de responsabilité. Le confort algorithmique, en effaçant l’aléa, érode peu à peu ce que signifie être libre : décider, agir, parfois se tromper, mais aussi apprendre, ajuster, assumer, etc.
Ainsi, ce qui apparaît comme un progrès, à savoir la diminution des accidents, l’efficacité, la sécurité, peut très bien s’accompagner d’un prix que nous mesurons mal : la transformation silencieuse de nos vies en flux de données, la perte d’un espace de spontanéité, la réduction de l’expérience humaine à un processus totalement optimisé.
Alors, au cœur de cette révolution technologique, une question profonde se pose : sommes‑nous prêts à troquer une part essentielle de notre liberté et de notre autonomie pour une existence plus sûre, plus fluide, mais standardisée, plus surveillée et finalement soumise à la cybernétique ?

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