Le surendettement croissant de certains États africains, dont le Sénégal, révèle une problématique qui dépasse largement les seules considérations économiques. Il s’agit d’un phénomène structurel qui interroge les fondements mêmes de la souveraineté politique et de la capacité des nations à maîtriser leur propre destin.
À l’occasion du dernier sommet du G20 à Johannesburg, la question de la dette des pays les plus fragiles a une nouvelle fois été abordée. Derrière le langage technocratique des communiqués officiels, c’est en réalité le rapport de force mondial qui se joue : celui qui oppose les États à leur propre vulnérabilité financière, mais aussi aux exigences d’un système international façonné par des décennies de globalisation asymétrique.
Le cas du Sénégal constitue un exemple emblématique. Avec une dette dépassant désormais 11 milliards de dollars, soit l’équivalent de 120 % de son PIB, le pays affronte une pression budgétaire sans précédent. L’État accumule les déficits, les échéances se rapprochent, tandis que les institutions financières internationales rappellent avec insistance la nécessité d’une trajectoire « crédible » pour éviter une restructuration jugée humiliante.
Le paradoxe est saisissant : malgré des années de croissance, malgré des investissements présentés comme structurants, le pays n’a pas bénéficié de l’élévation économique attendue. La dette n’a pas entraîné de développement exponentiel ; elle n’a pas, pour reprendre les termes du professeur Abdoulaye Ndiaye, généré « d’effet multiplicateur durable sur l’activité ». Là réside l’un des nœuds philosophiques de la question : une nation peut-elle vraiment se construire sur des emprunts perpétuels, sans vision stratégique profondément enracinée dans sa propre histoire et ses propres ressources ?
Les autorités sénégalaises refusent pour l’instant la restructuration, la considérant comme une atteinte à leur crédibilité. Cette réaction pose une autre interrogation, plus vaste : qu’est-ce que la crédibilité d’un État à l’heure où sa marge de manœuvre financière dépend largement de créanciers internationaux ? Peut-on encore parler de souveraineté lorsque les conditions d’accès au crédit façonnent les politiques publiques plus profondément que les choix démocratiques internes ?
Les économistes rappellent que le temps presse. Les investisseurs s’inquiètent, les taux s’élèvent, les obligations s’accumulent, et la dépendance financière s’accroît. Le risque n’est pas seulement budgétaire : il est institutionnel. Car une nation qui ne parvient plus à agir librement sur le plan économique voit, tôt ou tard, sa capacité d’action politique s’amenuiser.
La situation sénégalaise, loin d’être isolée, nous invite à repenser la question fondamentale de la puissance étatique dans un monde où l’économie a pris le pas sur la politique. Et si la véritable urgence n’était pas seulement de réformer les mécanismes financiers internationaux, mais de redonner sens à l’idée de souveraineté économique comme condition de la souveraineté tout court ?

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