L’idée d’un emprunt obligatoire imposé aux ménages les plus aisés refait surface, portée par des sénateurs socialistes convaincus qu’il s’agit d’un instrument de justice fiscale. Matignon se dit prêt à « examiner le sujet », tout en évitant soigneusement d’assumer le mot « obligatoire ». Comme si la prudence lexicale pouvait masquer la nature profonde de la mesure : un prélèvement contraint présenté comme un geste patriotique. Cela pose une question centrale : peut-on encore parler de consentement à l’impôt lorsque l’État avance masqué derrière la rhétorique de la solidarité ?
On évoque souvent le précédent de 1983, où un emprunt obligatoire avait déjà été imposé. À l’époque déjà, on enrobait la contrainte dans un discours civique. Mais un geste imposé n’a rien d’un engagement volontaire : c’est une manière de puiser dans la poche d’une minorité jugée « apte » à contribuer davantage, sous prétexte qu’elle résistera mieux que les autres. L’idéal démocratique repose pourtant sur une fiction fragile mais fondatrice : la participation volontaire à l’intérêt général.
On cite souvent Rousseau pour justifier la supériorité supposée de la « volonté générale ». Mais ces principes idéologiques, poussés à l’extrême, ont nourri les excès les plus destructeurs de 1789 et de 1793. Quand l’État prétend savoir mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux, la frontière entre contribution et coercition s’efface. La vertu imposée n’est pas une vertu mais une obéissance forcée. L’histoire française a largement montré où mène la confusion entre contrainte politique et patriotisme proclamé.
Le gouvernement avance donc avec prudence. On étudie, on nuance, on parle d’exception. Manière polie de reconnaître que la mesure, très impopulaire au-delà des cercles partisans, soulève un problème de légitimité. La question n’est pas seulement budgétaire mais morale et politique voire philosophique. Une autorité peut-elle rester crédible et respectée si elle habitue ses citoyens - riches ou non - à voir leurs ressources mobilisées par la force dès que les finances publiques chancellent ? Certains verront dans cette proposition un outil pour sauver les finances publiques. D’autres y reconnaîtront un vieux réflexe politique : mettre à contribution une minorité numériquement faible, souvent silencieuse et aisément caricaturée. Mais l’équité ne consiste pas à désigner des cibles commodes ; elle suppose un équilibre entre les droits individuels et les besoins de la collectivité.
Dans la doctrine sociale catholique, ce débat renvoie au principe de subsidiarité : l’action publique ne doit intervenir qu’en dernier recours. Autrement dit, la contrainte doit rester l’exception. La solidarité authentique naît d’une liberté choisie ; quand l’État la transforme en prélèvement autoritaire, il en vide la portée morale.
L’amendement a peu de chances d’être adopté en l’état. Mais son apparition révèle une tendance plus profonde : l’urgence budgétaire sert de justification à des mesures qui déplacent peu à peu la frontière entre ce que l’État peut demander et ce qu’il s’autorise à ponctionner. À force de privilégier la contrainte, on affaiblit l’esprit même de la solidarité.
En définitive, le vrai débat est ailleurs : reconstruire un lien de confiance qui permette de contribuer non par obligation, mais parce que l’effort a un sens partagé. Mais ne faudrait-il pas, pour cela, s’interroger sur la capacité et la nécessité de transformer nos institutions elles-mêmes ?

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