Suite à la publication, en novembre, des articles suivants : De la nécessité de s’engager en politique, L’excuse de minorité, L’Histoire est le théâtre de l’imprévu, Il faut bien faire quelque chose en attendant le retour du roi ; de nombreux lecteurs m’ont adressé des commentaires très élogieux, témoignant d'un réel intérêt pour les idées diffusées. En plus de ces encouragements, certains m’ont posé des questions pour obtenir des précisions sur des points abordés, cherchant à mieux saisir la portée de mes analyses.
Les sujets évoqués ne concernent pas tous directement le militantisme ou les conséquences du manque d’engagement, mais touchent également à des thématiques plus larges liées au royalisme. C’est précisément ce qui a motivé cet entretien : j’ai regroupé les principales interrogations soulevées afin d’y apporter des réponses claires et structurées.
Pour quelles raisons aucun Princes de la maison de France ne s’engage dans le combat intellectuel, politique et militant ?
Pour commencer, j’écris qu’il conviendrait avant tout d’interroger directement les Princes de la maison de France eux-mêmes. Ils pourraient peut-être nous donner des explications quant à leur non engagement. Leur absence chronique dans les débats historiques, politiques et intellectuels n’est pas ici une critique personnelle, mais un simple constat.
Je pense que nous pouvons néanmoins envisager deux hypothèses très crédibles pour expliquer cette regrettable situation. La première est qu’ils se considèrent comme légitimes, mais estiment que la cause royaliste est perdue d’avance. Ils adoptent alors une posture de passivité, persuadés que leurs prétentions seules suffisent à justifier leur rôle, sans qu’il soit nécessaire d’agir.
La seconde, à laquelle je souscris volontiers, est qu’ils doutent profondément de leur légitimité ou savent qu’ils ne la possèdent pas. Ils choisissent alors de rester dans une position confortable, sans véritable implication, préservant une image d’héritier ou de prétendant qui n’offre qu’une stature symbolique, finalement très peu utile pour le militantisme royaliste.
Leur situation s’apparente à une forme de résignation voire d’abandon. De plus, elle entretient, année après année, une inertie qui freine la mobilisation autour des idées monarchistes. Le royalisme impose une vision politique et une action quotidienne capables de réchauffer les cœurs pour fédérer les esprits. Militer pour un projet aussi ambitieux demande plus qu’une simple présence suggestive sur laquelle il y a beaucoup à dire. Leur inaction ou leurs actions très discrètes voire confidentielles renforcent ce que j’appelle le mythe incapacitant.
Il ne sert à rien de se mettre derrière ou au service de Princes qui ne saisissent pas clairement le flambeau monarchiste. Si le premier d’entre les royalistes ne montrent pas l’exemple, cela pose un énorme problème. De manière concrète, si un Prince ou un homme considéré comme tel, pense que la cause est perdue ou doute de sa capacité à l’incarner véritablement quel est intérêt pour les catholiques et les monarchistes de continuer à se ranger derrière une figure qui n’agit pas ou se maintient dans une posture attentiste donc stérile ?
Les associations ou groupes qui se placent derrière tel ou tel (prétendu ?) Prince se retrouvent en réalité piégés. En l’absence d’actions concrètes ou d’expression de convictions affirmées, il paraît difficile qu’ils parviennent à enclencher une dynamique positive pour des idées aussi exigeantes que celles du royalisme militant. Une cause sans un chef clairement engagé reste une cause en sommeil ou en déclin. Raison pour laquelle, nous devons accomplir notre devoir sans nous préoccuper des sempiternelles querelles dynastiques, de personnes et de toute autre sujet sur lequel nous n'avons aucune influence…
Selon vous qui pourrait être le roi si demain la France redevenait une monarchie catholique ?
Actuellement, aucun prince ne semble pleinement légitime sur le plan politique. Leur inaction, leur manque de prises de position claires ou leur engagement minimal, comme évoqué précédemment, en sont les principales raisons. Cette situation déplorable ne doit nullement nous empêcher de réfléchir et d’agir. Ainsi, après avoir constaté l'absence de légitimité chez chacun, j'affirme clairement que le choix du futur Roi ne nous appartient pas.
Notre rôle ne consiste pas à désigner une personne, mais à défendre des principes. Il faut militer pour l’idée même de la monarchie catholique, pour les fondements spirituels et politiques qu’elle incarne, plutôt que pour des figures individuelles qui restent inactives et finissent par ne plus rien représenter. Défendons l’héritage en attendant l’héritier. La politique, surtout dans une optique catholique et royaliste, ne relève pas des personnes mais des principes. Pour cela, nous devons symboliquement « brûler les idoles humaines » pour dépasser les querelles dynastiques ou personnelles.
En effet, ces dernières ont provoqué de nombreuses divisions et blessures, non seulement au sein de nos familles, mais aussi dans les familles politiques royalistes. Elles ont affaibli notre camp et détourné l’attention des véritables combats à mener. Comme l’a écrit Joseph de Maistre : « Toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. » Si nous constatons aujourd’hui l’absence d’un chef incontestable, n’en portons-nous pas une part de responsabilité ? La mouvance royaliste, et cela ne date pas d’hier, souffre encore d’un manque de rigueur et de vision.
Je l’écris depuis longtemps : la solution réside dans un retour au principe unificateur. Militions pour le Christ-Roi ! C’est sous son étendard et ses bannières que nous devons nous unir. Ce combat transcende toutes les querelles humaines et appelle à une unité qui dépasse les bas instincts humains. En plaçant le Christ et son règne au cœur de nos actions, nous préparons le terrain pour l’héritier…
Il y a plus d’athées que de catholiques. Comment comptez-vous rétablir la monarchie dans ces conditions ?
Il est vrai que le nombre de catholiques pratiquants est aujourd’hui inférieur à celui des personnes se déclarant sans religion. Il me semble important de rappeler que cette déchristianisation ne doit rien au hasard. Elle naît avec la montée en puissance de la Philosophie dite des Lumières qui accoucha de la Révolution dans notre pays. L’Eglise perdit alors en influence car les promoteurs des idées modernistes prônaient la séparation des domaines Spirituel et Temporel. Ce recul du christianisme s’intensifia au XXème siècle avec la sécularisation, la diffusion des idéologies matérialistes et des mutations sociales favorisant l'individualisme. Ce mouvement se traduisit par un recul de la pratique religieuse qui provoqua une perte de transmission familiale ainsi qu’une marginalisation progressive des valeurs chrétiennes dans l'espace public.
Cependant, les données démographiques des deux dernières décennies indiquent une donnée intéressante : selon les plus récentes statistiques, les familles catholiques françaises ont en moyenne 4 enfants par couple, contre seulement 1,6 pour les foyers autochtones sans religion. Cette différence est significative et porteuse d’espoir. Le livre collectif dirigé par Dominique Reynié, Le XXIe siècle du christianisme, analyse cette tendance. Si cette allant se poursuit, les catholiques deviendront plus nombreux dans les décennies à venir et joueront un rôle accru dans les débats futurs.
Il m’importe de souligner que cette différence trouve principalement sa source dans les valeurs et les choix de vie. Là où le matérialisme et l’hédonisme prônent une culture de mort - refus de l’enfant, peur de l’avenir, culpabilisation psychologique liée à l’écologisme, divertissement permanent - les familles catholiques s’ouvrent toujours à la vie. Ceux qui rejettent la procréation par idéologie disparaîtront faute de descendance, entraînant la mort de leurs idées.
En outre, l’Histoire nous enseigne que les grands bouleversements politiques et sociaux ne sont pas toujours l’œuvre des majorités. Ce sont souvent des minorités résolues, organisées et animées par une conviction profonde qui influencent durablement le cours des événements. L'exemple des premiers chrétiens sous l'Empire romain, tout comme celui des mouvements révolutionnaires, montre que la détermination l'emporte souvent sur le simple poids du nombre. Une masse inerte ou apathique ne peut rivaliser avec la force de groupes restreints, structurés et déterminés.
De fait, le rétablissement de la monarchie ne repose pas nécessairement sur une majorité arithmétique immédiate, mais sur une mobilisation stratégique, ancrée dans des valeurs solides et portée par une vision claire pour l’avenir. La démographie et l’Histoire jouent clairement en notre faveur. Il nous revient d’organiser cette dynamique en un projet politique solide et cohérent, au service de l’intérêt supérieur de la France.
Vous écrivez dans vos récents articles et vous dites dans vos conférences que le militantisme va au-delà du tractage et du collage, même si ces deux activités sont nécessaires. Pourriez-vous développer ce point s’il vous plaît ?
Je sais que tracter et coller sont des étapes indispensables pour tout militant désireux de connaître toutes les facettes du militantisme. Ces actions permettent une confrontation directe avec la réalité du terrain et les défis du militantisme, notamment celui d’attirer l’attention de nos compatriotes sur des sujets essentiels. Il n’est pas toujours facile de distribuer des tracts à des passants pressés, souvent préoccupés par leur retour chez eux ou leurs courses à faire.
De plus, faire face à des refus répétés ou à l’indifférence de nos compatriotes enseigne l’humilité, la persévérance et le véritable sens du combat. Néanmoins, comme je l’explique constamment le militantisme ne se limite pas à ces seules activités. Effectivement, notre combat politique doit s'inscrire dans une perspective plus large et variée.
Cela commence par la prière, en plaçant Dieu au centre de nos vies et de nos engagements. Ensuite, il est essentiel de se former intellectuellement en lisant de bons ouvrages et en écoutant des conférences enrichissantes, pour structurer nos idées et renforcer nos convictions. Enfin, le militantisme s’exprime aussi dans des actions concrètes de solidarité et de promotion de notre civilisation : participer à des maraudes pour aider les plus démunis, visiter les malades et les personnes âgées, ou encore rénover et entretenir notre patrimoine culturel et religieux, comme des statues ou des calvaires. De plus, organiser des activités communautaires - clubs d’échecs, de marche, de sport, de couture, de chasse, de chant - fédère et renforce les liens sociaux.
En somme, toute action promouvant sincèrement le Bien Commun et incarnant nos valeurs catholiques et monarchistes constitue un acte militant en faveur de la Restauration. Tout est politique, car nos actions ici-bas peuvent contribuer à une vision du monde qui honore le vrai, le beau et le bien. Chaque lecteur doit comprendre que le militantisme est multiforme, offrant à chacun une opportunité d’agir concrètement en fonction de ses talents.
Ce qui semble net, c’est qu’aucune solution politique ne rassemble, particulièrement dans le camp très large et très flou de la dite extrême-droite. Je constate que la division règne également chez les royalistes et les monarchistes. Qu’en pensez-vous ?
Il est indéniable que la division règne dans les milieux dits de droite, tout comme au sein de la mouvance monarchiste. Je ne conteste pas cette réalité que je déplore. La division est l’œuvre du démon. Cependant, aucune solution politique ne pourra émerger si l’on continue d’appliquer des recettes inefficaces ou de réduire la politique à des querelles de personnes.
Le terme « extrême droite » est fréquemment utilisé de façon péjorative ou comme une manière détournée de disqualifier un contradicteur lors d’un débat : le fameux point Godwin. Je présume que ce n’est pas votre intention ici. Cela dit, l’ambiguïté de ce terme, qui varie d’une définition à l’autre, révèle un grave problème de clarté et d’unité. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ; ainsi, le flou qui entoure les contours de cette mouvance explique sa difficulté à se structurer autour d’un véritable projet commun.
La solution politique ne viendra pas si les Français conscients des problèmes refusent de s’engager ou s’ils choisissent de mauvaises causes. Le combat républicain est une impasse. La droite dite de gouvernement applique très souvent une politique de gauche lorsqu'elle accède au pouvoir, tandis que « l’extrême droite » demeure incapable de le conquérir depuis de nombreuses décennies.
Pour ce qui est du royalisme, les divisions actuelles rappellent cette phrase tirée de l’Évangile selon Matthieu (26,31) : « Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées ». En assassinant Louis XVI, les révolutionnaires ont non seulement détruit l’incarnation vivante du pouvoir monarchique, mais aussi semé une division durable qui a pleinement éclaté au XIXème siècle.
La solution réside dans un retour au traditionalisme politique français, fondé sur l’alliance indissociable du catholicisme et de la monarchie. C’est en renouant avec nos racines doctrinales que nous pourrons surmonter les divisions et proposer la seule alternative crédible et cohérente à un système politique en crise…
Propos recueillis le 8 décembre 2024
Commentaires
Enregistrer un commentaire