Entretien historique, politique et philosophique avec Vincent Tema (intégral)

FRANCK ABED


Vincent de Tema, journaliste, militant et contributeur pour plusieurs rédactions de la droite radicale pour reprendre ses mots, m’a proposé un grand entretien qui recouvre certains de mes thèmes de prédilection : philosophie, politique, histoire et religion. 


Franck Abed, vous êtes romancier, historien, essayiste, vidéaste, intellectuel engagé, conférencier. Votre chaîne YouTube, Histoire Sans Fin, frôle les 10 000 abonnés, comptabilise plus de 200 vidéos et atteint les 640 000 vues. Vous-mêmes vous définissez comme un « contre-historien ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?


Cette expression de contre-historien m’a été donnée par un très grand historien de la Sorbonne que j’avais interrogé dans le cadre de mes entretiens-vidéo. Il avait été principalement séduit par deux aspects : la manière dont je conduisais la discussion et ma volonté de revenir sur chaque point saillant de son livre, comme si je menais une contre-enquête voire une contre-histoire. Voilà comment naquit cette appellation.


Je précise qu’être historien reste avant tout une question de méthode et de formation intellectuelle plus qu’une question de diplômes. De fait, quand on étudie le passé, il convient de ne jamais tomber dans l’anachronisme en prenant toujours en compte le contexte. Ce dernier est souvent relégué aux oubliettes : grave erreur ! 


Il faut analyser les événements comme ils se déroulèrent et non comment certains auraient voulu qu’ils se déroulassent. Par exemple, il demeure aisé de juger après coup une bataille en disant que tel général aurait dû agir de telle manière, sauf qu’au moment des faits le commandant en chef ne disposait pas de la masse d’informations que nous possédons grâce au recul des années voire des siècles. Ce genre de méthode conduit inévitablement à produire de mauvaises analyses…


D’une manière générale, je ne m'inscris pas dans le culte du Progrès, de l’Homme et de la Technique. Je n’adhère pas plus à cette vision souvent caricaturale du Moyen Âge, expression qui me paraît, au mieux, maladroite au pire négative. Le terme moyen dans ce contexte intellectuel (et d’une manière plus globale) ne peut être envisagé comme positif. Pour donner de l’ampleur à mon argumentation, je sais qu’un élève qui obtient une note moyenne ne se situe pas parmi les meilleurs de sa classe. Quand un film ou un livre sont jugés comme moyens, nous sommes en présence de la médiocrité et non de l’excellence. 


Le Moyen Âge souffre de la comparaison avec la prétendue Renaissance. Il arrive fréquemment que certains opposent le sombre Moyen Age à la sémillante Renaissance. L’Histoire ne doit pas être un terrain de jeu pour liquider des querelles idéologiques. Il me semble préférable d’utiliser l’expression de Temps Féodaux pour évoquer la période historique couvrant - entre autres - le règne de Saint Louis, l’enseignement de Thomas d’Aquin, les Croisades et la floraison des cathédrales. 


De même, je ne pense pas que la Renaissance fut une période où l’Europe connut une nouvelle naissance, comme je n’ai jamais cru dans les mauvaises fables contant « des gentils serfs exploités par des méchants seigneurs cupides ». La réalité se veut tout autre et surtout plus complexe car moins binaire. Dans le même ordre d’idée, je ne pense pas, car l’étude historique le démontre, que la révolution de 1789 et 1793 fut menée par le peuple, pour le peuple, ni même dans l’intérêt du peuple…


Vous avez pu interviewer de nombreux historiens, et quelques personnalités connues bien au-delà de l’univers militant de droite, dont Jacques Attali. Qu’avez-vous retiré de votre échange avec lui ?


Je précise d’emblée que je suis content d’avoir réalisé un entretien vidéo avec Jacques Attali, ce qui n’est pas une mince affaire pour un intellectuel monarchiste indépendant. Je ne rentrerai pas, aujourd’hui, dans le détail mais ce fut long et compliqué pour obtenir son agrément. Pour préparer cet échange j’avais lu en amont plusieurs de ses ouvrages et écouté ses conférences évoquant des sujets aussi variés que l’économie, l’histoire, la politique, la religion, la finance, etc.


J’avais reçu une consigne de son équipe : « aucune question politique ». Deux choix s’offraient à moi : refuser l’entretien ou accepter cette contrainte. J’ai opté pour le second car je suis parti du principe qu’un échange, même non politique, avec une des personnalités les plus en vue de la Vème République serait forcément intéressant. 


Malheureusement, notre discussion fut trop brève, à peine quinze minutes. Je n'en retiens aucun grand enseignement philosophique ou intellectuel. A contrario, je peux écrire sans naïveté que c’est un homme très occupé, intelligent et conscient de sa place dans la société…


Vous avez analysé l’échec du mouvement des Gilets Jaunes. Selon-vous, pourquoi ont-ils finalement échoué ?


J’ai proposé une analyse complète et factuelle dans un opus intitulé Gilets Jaunes, les raisons d'un échec dévoilées, dans lequel j’explique avec de nombreux arguments que sans organisation, sans doctrine, sans stratégie tout mouvement contestataire est forcément voué à l’échec. Manifester pour manifester ne présente qu’un intérêt politique très limité. Comme l’ont dit d’autres avant moi : « La République gouverne mal mais se défend bien ». 


De fait, les Gilets Jaunes ont commis de grossières erreurs tactiques. Lorsqu’ils occupaient les ronds-points, les péages ou tous les autres lieux, ils gênaient les Français du quotidien et non les membres du gouvernement responsables de cette décadence politique qui conduit, entre autres, à la paupérisation du peuple. Empêcher la France d’en-Bas ou autrement dit la France du Pays Réel de se déplacer en provoquant des contraintes et des ralentissements restait le meilleur moyen de se les mettre à dos. Effectivement, ils bloquaient des Français qui eux aussi étaient victimes de la désastreuse politique gouvernementale. Ils ne surent pas gagner la bataille de l’opinion.


Les Gilets Jaunes proposaient de colmater quelques brèches sans véritablement remettre en cause l’institution qui a permis ces échecs politiques, économiques et sociaux. Ils voulaient poser des emplâtres sur une jambe de bois. Il est impossible de changer en profondeur un système politique s’il n’existe pas une volonté réelle de combattre ses fondamentaux idéologiques. De plus, le mouvement protéiforme des Gilets Jaunes a vite été récupéré par des personnalités douteuses qui ne pouvaient, en raison de leurs limites doctrinales et politiques, incarner une authentique et saine rébellion…


Vous n’êtes pas un sectateur de l’Union Européenne. Que lui reprochez-vous exactement ?


Les motifs de rejet de l’UE se révèlent nombreux et constants.


Quand j’avais 11/12 ans, je me promenais dans Paris avec mon père et nous avions vu une affiche électorale promouvant le Oui pour le traité de Maastricht. Le message politique de celle-ci était le suivant, je cite de mémoire : « Avec l’Union Européenne vous pourrez voyager facilement dans toute l’Europe, vous aurez la paix, la prospérité et le chômage ne sera qu’un lointain souvenir ». A l’époque, mon paternel m’expliqua qu’il voterait pour la ratification car il voulait le meilleur avenir pour son fils. Des années après le 20 septembre 1992, force est de constater que ces promesses électorales ne se sont jamais concrétisées dans le réel, sauf peut-être pour le fait de voyager en Europe. 


En 1992, le Oui l’emporta d’une courte tête. En 2005, lors du vote sur le Traité Constitutionnel Européen, mon père vota Non comme la majorité des électeurs français et le Non l’emporta largement. Il ne vota pas contre le TCE par idéologie ou par hostilité avec le gouvernement en place, pour leur faire payer leur mauvaise politique intérieure, mais tout simplement par logique et bon sens. Il ne voulait pas donner son suffrage à des politiques incapables de mettre en application les idéaux vantés depuis plusieurs décennies par une insidieuse et néfaste propagande. En 2005, l’UE était déjà en panne et c’est bien peu de l’écrire. 


L’UE aurait pu être un outil formidable de puissance pour les pays européens mais chaque crise politique, sociale et économique montre qu’elle s’apparente à un colosse aux pieds d’argile. Dans les faits, car ils restent le plus important, la Commission ne s’appuie sur aucune légitimité politique, sans oublier les salaires exorbitants de ses membres que rien ne justifie au regard de leurs échecs répétés. Il existe également de graves affaires de corruption qui mine sa crédibilité. Jour après jour le Parlement européen prouve sa faiblesse face aux groupes d’influence diverses et variés qui ne pensent qu’à la croissance de leur puissance financière réalisée sur le dos des Européens. 


Quant à la la Banque centrale européenne, ses mauvaises performances économiques ne plaident certainement pas en sa faveur. Elle s’est montrée incapable d’endiguer la crise économique de 2008, crise fortement aggravée par l’endettement massif de la zone euro… ou de créer pour les pays membres un eldorado économique. Je peux également citer le coût très élevé de la PAC nonobstant la mise en œuvre de moults réformes. L’UE souffre également d’un manque d’ambition politique marquée, entre autres, par l'absence de grands projets industriels, technologiques et économiques. 


Au quotidien, en France, les bénéfices pour le consommateur de la politique anticoncurrentielle se montrent insignifiants comme nous le constatons amèrement depuis toujours et le conflit entre l’Ukraine et la Russie n’a, bien au contraire, rien arrangé. L’UE ne nous protège en rien face à l’insécurité et aux différentes formes de terrorisme. Sa politique de gestion des flux migratoires depuis les accords Schengen ne peut que la disqualifier.


Concrètement, une organisation démocratique à l’échelle du continent européen est une chimère politique à laquelle je ne peux adhérer. Je n’omets pas non plus l’uniformisation des identités charnelles promue par l’UE, qui constitue un des axes forts du projet mondialiste que chacun devrait combattre.


Vous définissez-vous comme souverainiste ?


Saint Thomas d’Aquin, d’heureuse mémoire, expliquait qu’avant toute disputatio il convenait de s’entendre sur la définition des mots afin que l’échange démarrât sur de bonnes bases. Si par souverainisme vous comprenez « une doctrine politique soutenant la préservation de la souveraineté nationale d'un pays par rapport à des instances supranationales », je peux, à la rigueur, me déclarer souverainiste. 


Le souci reste que beaucoup de souverainistes estiment que la souveraineté de la nation peut se passer d’un souverain. Le souverain se voit remplacé par la nation. Dans la doctrine monarchiste, la nation s’incarne dans la personne du Roi. Permettez que je dresse un parallèle avec l’Église catholique romaine : « Là où se trouve le Pape, là se trouve Rome ». Aujourd’hui, mais déjà depuis de longues décennies, la France est livrée à l’abandon car le Père des Peuples de France est éclipsé par un Président de la République qui ne défend pas le Bien Commun, la France et les Français.


Le vrai problème doctrinal du souverainisme reste finalement entier : en France tous ceux qui se revendiquent souverainistes, qu’ils s’affichent démocrates, républicains, nationalistes ou partisans de régimes dictatoriaux, ne veulent pas d’un véritable souverain, d’un monarque. Mon travail consiste à convertir ces souverainistes de différentes tendances au souverainisme authentique, à savoir la monarchie. Seule la monarchie peut préserver les intérêts supérieurs de la France sur le court, moyen et long terme. 


Vous avez pu défendre l’idée qu’être royaliste au XXIe siècle était toujours pertinent. Pour quelles raisons ?


Je défends et promeus toujours cette idée sublime. Le traditionalisme politique français repose sur deux piliers : le catholicisme et le monarchisme. Si la France ne redevient pas catholique et monarchiste elle disparaîtra. La France est devenue la Reine des Nations grâce à la monarchie catholique. Un des marqueurs qui démontre la victoire idéologique de la gauche est le suivant : ceux qui se revendiquent de Droite dans le grand forum public ne sont ni catholiques, ni monarchistes. 


Je constate que la République offre le spectacle terrifiant où se joue une guerre civile permanente. Cette dernière est menée par des coteries privées qui s’affrontent pour leurs seuls profits. J’estime que la première place de l’État ne doit pas être soumise à la compétition. Qui dit compétition dit forcément mensonge, corruption et démagogie. Les élections présidentielles nous rappellent toujours ce triste constat. 


J’expose très clairement l’idée suivante : une institution ne peut définir sa légitimité par la loi du plus grand nombre, pas plus qu’elle ne doit s’effacer devant la dictature oppressante des minorités. La République permet aussi la promotion et l’ascension des médiocres avec son égalitarisme outrancier consécutif d’un nivellement par le bas qu’elle planifie dans tous les domaines. La monarchie œuvre par et pour la tradition, c’est-à-dire la continuité dans le temps. Pour mener une politique au service du Bien Commun dans l’intérêt supérieur de la France et des Français, le temps long reste une impérieuse nécessité. Comment diriger un pays avec des majorités changeantes selon les guerres électorales et l’humeur évasive des citoyens ? Il convient d’avoir un cap. 


De fait, la monarchie permet très justement de fixer un chemin clair et de s’y maintenir car son institution le permet de manière intrinsèque. Le monarque ne se soumet point au calendrier électoral. En effet, il ne tire pas sa légitimité d’une élection au prétendu suffrage universel. Sa force demeure dans son héritage qui puise sa force dans les fondements de la France charnelle. Le Roi de France sait également le respect qu’il doit à la Loi Naturelle et aux enseignements bibliques en tant que chef d’État lieutenant de Dieu sur terre. 


Pour les lecteurs intéressés, je renvoie à mon opuscule titré Pourquoi être royaliste ? dans lequel j’expose les principales raisons philosophiques, politiques et historiques au nom desquelles il convient d’être royaliste…


Vous vous définissez comme « catholique romain ». Vous considérez-vous comme traditionaliste ?


Tout dépend de la définition du mot traditionaliste. Si par traditionaliste vous entendez être attaché à la liturgie et à la doctrine catholique de la Rome Éternelle maîtresse de vérité, alors oui vous pouvez me considérez comme un traditionaliste catholique. Je voue un profond respect et bien plus pour le rite dit de Saint Pie V. Toutefois, le terme de traditionaliste dans l’Église ne renvoie à aucune réalité canonique. Il me semble important de le rappeler.


Je ne suis donc pas traditionaliste pour être traditionaliste. Le passé n’est pas forcément porteur de Beau, de Bien, de Vrai. Si une tradition, au sens de transmission d’une idée ou d’un concept à travers les âges, ne se conjugue pas au Bien Commun et à la doctrine de l’Église catholique romaine, il convient de l’abandonner.


Récemment, lors d’une conférence, un auditeur m’a questionné sur le gallicanisme. Je lui ai expliqué qu’un catholique romain ne pouvait être gallican même si ce fut une idée portée par certains Rois de France dont certains sont jugés unanimement comme des très grands Rois. Il n’en reste pas moins vrai que cette tradition gallicane demeure intrinsèquement mauvaise. Vous l’aurez compris, je ne suis pas du tout gallican en vertu de mon adhésion à une tradition politique héritée de nos aïeux mais parce que cette doctrine heurte de plein fouet la doctrine catholique à laquelle je suis viscéralement attaché. Le pouvoir temporel doit être distinct et soumis au pouvoir spirituel. L’Église en France (et dans n’importe quel pays) ne doit pas être une Église au service exclusif du pouvoir temporel pas plus qu’elle ne peut revendiquer une position autocéphale.


Concrètement j’aime la Tradition de l'Église, cette Tradition vivante qui honore le passé, magnifie le présent tout en étant riche de promesses pour l’avenir. J’aime aussi le Magistère de l’Église que j’approuve sans aucune réserve. Je cite une phrase attribuée à Gustav Mahler : « La tradition c'est la transmission du feu et non l'adoration des cendres ». Que les choses soient claires, tout catholique et monarchiste doit être animé par ce feu sacré.


Comment, en tant qu’historien, intellectuel mais aussi en tant que croyant, jugez-vous le bilan global du concile Vatican II ?


Le 8 décembre 1965 le deuxième Concile du Vatican prit fin. Nous sommes en 2024. Nous disposons maintenant de nombreuses années pour déterminer si les fruits du Concile sont bons. Jésus-Christ avait clairement dit : « Un bon arbre ne produit pas de mauvais fruits, ni un arbre malade de bons fruits. Chaque arbre se reconnaît à ses fruits : on ne cueille pas des figues sur des buissons d'épines et l'on ne récolte pas du raisin sur des ronces » (Luc 6-43).


Qui peut nier cette évidence, à savoir que les résultats du Concile sont catastrophiques ? Certes, la société du divertissement et le libéralisme expliquent également certaines dérives théologiques, philosophiques et liturgiques. Mais cela ne doit pas être une excuse ou un prétexte pour ne pas poser un regard objectif et averti sur cet événement majeur dans l’Histoire de l’Église ou pour dédouaner les clercs de leurs immenses responsabilités dans cette hécatombe religieuse.


En France (et pas seulement malheureusement) les conséquences du Concile sont terribles : chute des vocations, fermeture des séminaires, hausse considérable des divorces et des naissances hors mariage, promotion de doctrines fausses comme la collégialité dans l’Église, la liberté religieuse, le faux œcuménisme, le renoncement à convertir les non catholiques, constitutionnalisation de l’avortement  etc.


En tant qu’historien et intellectuel, il demeure intéressant de s’intéresser à la gestation du Concile et à sa réalisation. De nombreux livres et études ont été publiés. Tous ces ouvrages ne méritent pas d’être lus. Je recommanderai un titre parmi d’autres : Le Rhin se jette dans le Tibre. Il s'agit d'une analyse complète, détaillée et argumentée. Celle-ci revient sur le rôle lamentable joué par les cardinaux, les évêques et les théologiens des pays que traverse le Rhin. Il explique comment les schémas préparatoires ont été contestés, puis modifiés pour le grand malheur de l’Église.


Les fruits peu goûteux du Concile s’affichent constamment sous nos yeux : des rencontres d’Assise à la réhabilitation de Luther l’hérétique, la présence d’une statuette de la Pachamama dans les jardin du Vatican, les prières interreligieuses, sans oublier la promotion des idées nouvelles et contraires à ce qu’a toujours professé l’Église catholique romaine. Nous devons combattre le modernisme, sans honte, sans haine, sans lâcheté, sans compromission. L’Église renaîtra de ses cendres quand les catholiques renoueront en pensée et en action avec le catholicisme.


En tant que croyant, nous devons prier et garder sans cesse l’espérance chevillée au corps car Jésus nous a enseigné la vérité suivante : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis là, au milieu d’eux » (Matthieu 18-20). Toutefois quand je constate le sort de l'Église, je ne puis m’empêcher de penser qu’Elle est frappée par un châtiment, châtiment dont l’Église de Dieu sortira vainqueur car : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » (Matthieu 16 - 18).


Comment envisagez-vous l’avenir, à long terme, de l’Église catholique ? Ne considérez-vous pas qu’elle a jusqu’ici échoué dans sa mission de protection spirituelle, politique et sociale des humbles ?


L’Église a les promesses du ciel car Elle les a reçues directement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ses adversaires pourront être nombreux, puissants et déterminés, ils ne parviendront pas à la réduire en cendres. Un jour, lors d’une retraite spirituelle, j’échangeais avec le Père Abbé et lui demandais son avis sur la crise que vivait l’Église. Il m’a répondu, non sans ironie, que « la crise était une tradition de l’Église ». L’Église catholique reste à ce jour la plus vieille institution du monde. Elle a vécu des ébranlements douloureux tout au long de ses 2000 ans d’histoire.


L’erreur serait de La croire déjà morte en considérant la seule histoire récente, et quand je parle d’histoire récente je remonte au deuxième Concile du Vatican jusqu’à maintenant. Que ce soit face aux invasions barbares, aux royaumes, aux empires, à la tornade révolutionnaire de 1789, au bolchevisme, au fascisme et au national-socialisme, l'Église trouva des parades et des ressources pour maintenir son indépendance dans le but de diffuser le message du Christ.


Malheureusement depuis des années, Elle a été infiltrée avec succès par ses ennemis comme tout observateur lucide peut le constater. Ce n’est donc pas un hasard si le Pape Pie X, qui fut déclaré Saint en 1954, promulgua le 1er septembre 1910 le motu proprio Sacrorum antistitum, plus communément connu sous l’appellation « serment antimoderniste ». Il avait déjà conscience du danger imminent qui rôdait dans et autour de l’Église.


D’une manière générale, l’Église, en ordre, a toujours su protéger les plus faibles tout en diffusant le message évangélique. D’aucuns critiquent l’Église mais, depuis des siècles, elle soigne les malades et assiste les affligés. Contre vents et marées, en dépit des menaces, des guerres, des épidémies, Elle apporte vaillamment un soutien spirituel, moral, humain, financier et matériel à tous ceux qui souffrent. L’Église reste composée d’hommes et de femmes. Depuis le péché d’Adam et Eve, l’humanité est pécheresse. Ne l’oublions jamais. Toutefois, le rôle bénéfique de l’Église auprès des plus faibles n’est vraiment plus à prouver. 


Je suis intimement convaincu que la barque de Saint Pierre, à l’image de la devise parisienne, est battue par les flots mais ne sombrera pas. Ainsi, j’envisage avec confiance l’avenir de l’Église sur le long terme, car je sais qu’Elle (re)trouvera en Dieu les forces nécessaires pour se redresser. En France, par exemple, nonobstant les actes hostiles répétés contre les catholiques, les catholiques authentiques existent, résistent et parfois ils prospèrent. L’avenir est à nous car nous avons compris l’importance de procréer et la nécessité de se battre contre nos nombreux adversaires.


Vous portez un grand intérêt à l’œuvre de Joseph de Maistre (1753-1821), l’un des principaux penseurs de la Contre-Révolution. Quelles sont les grandes idées que vous retenez de lui ?


L’œuvre de Maistre se montre dense, passionnante et extrêmement intéressante sur les plans historique, philosophique, politique et même théologique. Il me paraît complexe de résumer en une seule réponse cinquante années de vie intellectuelle, que je qualifie volontiers de foisonnantes. Exposons très succinctement quelques grandes doctrines maintiennes.


Il existe tout d’abord une opposition farouche et très argumentée à l’égard de l’idéologie des Lumières. Ses magnifiques textes contre Voltaire rappellent avec force sa puissante rhétorique déployée contre les idées, voire les sophismes, qui permirent l’ouragan révolutionnaire en France. Maistre s’opposa avec détermination à la Révolution, aussi bien dans ses fondements intellectuels et philosophiques que dans son expression, à savoir la barbarie et la violence dont usèrent les révolutionnaires.


Par conséquent, il demeure l’un des principaux adversaires de la philosophie libérale et de l’individualisme maître. Pour le penseur savoisien, le corps social prime sur l’individu. Une société ne peut pas et ne doit pas se définir comme l’addition des individus indifférenciés qui la composent. Ainsi, la conséquence logique de ce raisonnement permet de saisir pour quelles raisons Maistre s’opposa au naturalisme politique et au rationalisme très en vogue dans ce XVIIIème siècle. Maistre préféra la tradition, l’expérience des siècles, le sens commun, la foi chrétienne et les coutumes orales - comprendre les lois non-écrites.


Un des points essentiels de sa pensée repose sur le rejet viscéral du républicanisme, du démocratisme et du protestantisme. Pourquoi ? Maistre estimait, à juste titre, qu'ils sont le produit de l’individualisme. Les deux premiers systèmes - politiques - instaurent en effet des régimes qui engendrent intrinsèquement la division et la guerre civile permanente. Le troisième - religieux - provoque perpétuellement des divisions doctrinales, tout en niant l'autorité du Pape. 


Le protestantisme fut un ferment de division. Loin de s’escrimer à créer les conditions de l'union des chrétiens derrière une doctrine claire et largement reconnue, le protestantisme a engendré des divisions successives, menant à une fragmentation continue que l'on observe encore aujourd'hui. Il est très difficile de s'y retrouver parmi les différentes branches du protestantisme, telles que les calvinistes, les luthériens, les méthodistes, les mennonites, les anabaptistes, les anglicans, les adventistes, les pentecôtistes, etc.


Maistre consacra toute sa vie à la promotion de l'unité, qu'elle soit religieuse ou politique. En France, la religion catholique a toujours été liée à la monarchie, contrairement aux mouvements protestants qui, bien souvent, se sont opposés à la monarchie religieuse (Église de Rome) et à la monarchie politique (Roi de France). De nombreux protestants s'engagèrent dans la Révolution de 1789. Philippe Jacques Rühl, fils d'un pasteur luthérien de Worms, brisa solennellement la Sainte ampoule le 7 octobre 1793 à Reims sur le socle de la statue de Louis XV. Sous la IIIème République, des protestants occupèrent des postes importants et ils jouèrent un rôle majeur pour la promotion de l’enseignement laïc…


Je pourrais également mentionner la vision de Maistre de la Providence, son idéal théocratique,  ses vues sur la guerre etc, mais je préfère, pour l’heure, conseiller à vos lecteurs les trois livres suivants par ordre de préférence : Du PapeLes Soirées de Saint-PétersbourgConsidérations sur la France


Quels sont les autres auteurs de la Contre-Révolution dont vous vous réclamez ? Et pourquoi ?

Je ne suis pas particulièrement adepte des mots-valises pour diverses raisons. Lorsqu’un interlocuteur me demande de me définir, je réponds volontiers que je suis catholique romain et monarchiste. Je n'utilise presque jamais le terme « contre-révolutionnaire » pour présenter mon travail et mes idées.


Effectivement, c’est un mot magique et facile à utiliser. Beaucoup le lancent à la figure de leurs interlocuteurs comme une marque de haute estime. Malheureusement, ce terme s’éloigne depuis très longtemps de sa substantifique moelle. Certains l’emploient à tort et à travers sans avoir lu les auteurs de la Contre-Révolution, ou pire, après les avoir lus mais sans les avoir compris et assimilés.


Il me semble important de citer Maistre : « Le rétablissement de la Monarchie qu’on appelle contre-révolution, ne sera pas une révolution contraire, mais le contraire de la révolution ». Le contraire de la révolution ne signifie pas adopter les méthodes de l’ennemi (démocratie, conquête des masses, séduction des électeurs, démagogie, violence non légitime) pour restaurer la monarchie. C'est pour ces raisons, entre autres, que je ne me reconnais point, depuis que j’ai investi le champ politique et intellectuel, dans les idées et la forme du combat des prétendues « droites ».


Depuis de très longues années, je lis et j’étudie Maistre. Par la suite, j’ai découvert de nombreux auteurs, intellectuels ou littérateurs qui critiquent l’idéologie des Lumières et la Révolution. Parmi eux, deux auteurs se démarquent particulièrement, convaincants et convaincus de l’idée catholique et royale : Louis de Bonald et Antoine Blanc de Saint-Bonnet. Ils manièrent admirablement bien la langue française. Au-delà de leur talent pour l’expression écrite, je salue la qualité et la pertinence de leurs rigoureuses analyses. Profondément catholiques, ils condamnèrent les innovations sociales et politiques de la Révolution.


Bonald et Maistre tancèrent vertement Rousseau dans tous leurs écrits. Ils ont brocardé ses incohérences doctrinales et les limites politiques de sa pensée. Ils rejetèrent très vite la philosophie politique du Contrat Social. Ils livrèrent une guerre intellectuelle à la Déclaration des Droits de l’Homme. Beaucoup connaissent la fameuse pensée de Maistre à ce sujet : « Il n'y a point d'homme dans le monde. J'ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être Persan ; mais quant à l'homme je déclare ne l'avoir rencontré de ma vie ; s'il existe c'est bien à mon insu ». 


Par cette simple phrase, Joseph de Maistre témoignait de son opposition aux idéaux utopistes, révolutionnaires et universalistes de 1789. Cette fameuse Déclaration n’était en réalité qu’un Contrat Social de 17 articles énonçant quelques droits et devoirs généraux très vagues. Selon les rédacteurs, ils suffisaient à définir à la fois une nation et ses citoyens. Ce fourvoiement constitue l’origine de nombreux crimes.


Quant à Blanc de Saint-Bonnet, lui aussi appartient à cette famille de pensée catholique et monarchiste. Pour rappel, Maistre meurt en 1821, Bonald en 1840. Saint-Bonnet naît en 1815 et rejoint Dieu Créateur en 1880. Celui-ci est moins connu de nos jours que ses deux illustres prédécesseurs, bien qu'il ait gagné une influence majeure dans le débat des idées de son époque. Il a véritablement marqué de son empreinte son temps, influençant des grands écrivains tels que Jules Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy ou encore Charles Baudelaire.


À la doctrine politique classique de la Contre-Révolution, Blanc de Saint-Bonnet, considéré de son vivant comme le continuateur de Maistre pour son ultramontanisme, ajouta une réflexion approfondie sur la question sociale. Il devint ainsi l'un des penseurs référents de l'école catholique sociale. 


Aujourd'hui, comme déjà hier, dans les organisations politiques présentées comme de droite, la question sociale et les sujets liés à la paupérisation des classes inférieures ne constituent que très rarement des priorités. Pourtant, Blanc de Saint-Bonnet eut à cœur de soutenir les plus faibles en cherchant à soigner leurs maux. Il développa une saine pensée catholique, éloignée des utopies égalitaires qui ont provoqué des millions de morts dans le monde entier.


Vous êtes monarchiste. Quels furent pour vous les trois ou quatre plus grands monarques ayant régné sur la France ?


Je précise que je suis depuis toujours monarchiste. Quand j’étais enfant, grâce à mon père j’ai découvert très vite le plaisir de lire des livres d’histoire. A 12 ans, mes trois personnages préférés étaient déjà Auguste, Louis XIV, Napoléon. Depuis mon Panthéon personnel s’est quelque peu étoffé. Néanmoins, tous les chefs d’État qui le composent sont tous monarchistes. 


La France a connu de très grands monarques. J'en ai déjà cité deux. Il me paraît difficile de faire l'impasse sur Clovis. Son baptême, ainsi que celui de ses 3000 guerriers, lie pour toujours la monarchie franque à la religion catholique. Sainte Clotilde doit également être mise en avant, en tant que femme et reine, car son action de conversion auprès de son époux, en plus d’être décisive pour l'histoire de France, apporta le succès à son couple.


Charlemagne fut un immense monarque franc même si certains veulent à tout prix le restreindre ou le rattacher à la seule idée impériale. Charlemagne restera pour l’éternité l’archétype du monarque chrétien combattant l’hérésie et défendant le Saint-Siège. De même, il mit tout en place pour l’essor du christianisme dans son Empire. Il fut aussi un souverain réformateur, soucieux de l’unité politique et religieuse, tout en étant déjà un protecteur des arts et des lettres.


Je cite également Hugues Capet qui prit le pouvoir au bon moment avec l’aide de l’Église. Sa famille conserva la potestas pendant des siècles grâce à un magistral coup politique : sacrer son fils de son vivant. Par cet acte, il coupait l’herbe sous le pied aux ambitions individualistes des Grands. Ceux-ci profitaient souvent des périodes d’instabilité provoquées par la mort du monarque pour jouer leurs propres partitions, bien souvent désastreuses pour l’intérêt du royaume.


Mitterrand déclara : « Les Capétiens sont la colonne vertébrale de la France ». En ce sens, Saint Louis fut un très grand Roi et le plus illustre des Capétiens. Je recommande la lecture du Sire de Joinville pour le découvrir tel qu’il fut réellement. Il nous présente de la plus simple des manières, un roi preux, chevalier et très bon administrateur de son royaume. Époux remarquable et père accompli, il est idéal à imiter pour les soldats politiques que nous sommes.


Vous avez également écrit sur Louis XVI. Pensez-vous, comme l’historien Jean-Christian Petitfils, qu’il aurait été le meilleur roi possible pour la Révolution, s’il n’avait été emporté par elle ?


Je précise d’emblée que j’ai lu et grandement apprécié ses cinq biographies consacrées aux rois Bourbon. Les livres sont très bien écrits et réellement documentés. Nous sommes en présence d’une réelle mise en perspective historique que je salue. Je recommande vivement la lecture de ces ouvrages passionnants et instructifs.


Concernant Louis XVI, tenons-nous en aux faits. Pour le plaisir de la discussion, nous pouvons voyager intellectuellement et laisser libre cours à des scénarios uchroniques. Dans le cadre de cet entretien, je préfère rester sur les rivages de l’Histoire. Louis fut balayé par la Révolution. Il finit tristement décapité comme Saint Jean Baptiste.


Louis XVI ne reçut point l’enseignement d’un futur roi, c’est-à-dire celui qui apprend à gouverner. Je rappelle que le 10 mai 1774, apprenant la mort de son grand-père, il s’écria en compagnie de son épouse : « Nous sommes trop jeunes pour régner ». Deux jours après, il appela au secours Maurepas, un ancien ministre de Louis XV. 


Tout d’abord, le comte en profita pour régler de vieilles querelles politiques avec d’anciens adversaires proches du feu roi, ce qui ne constitue pas une des meilleures entrées en la matière. Ensuite, il nomma Turgot aux finances, le très populaire Malesherbes à la Maison du Roi et Vergennes aux Affaires étrangères. Ce dernier fut l’un des meilleurs représentants de cet illustre ministère. Je reconnais volontiers qu’il s’agissait de choix pertinents et intéressants. Cela ne signifie nullement que j’aurais agi à l’identique en pareille circonstance. 


Enfin, Maurepas conseilla très mal Louis XVI sur certains points cruciaux. Il lui suggéra fortement de renvoyer le chancelier Maupeou. Pire, une fois cet acte accompli, le roi convoqua les anciens magistrats de leur exil. Il rétablit, peu après, les Parlements dans leur état antérieur. En apprenant cette funeste décision, Maupeou décrivit parfaitement la situation : « J'ai fait gagner au Roi un procès qui durait depuis trois cents ans. Il veut le reperdre ; il en est le maître ».


Louis XVI ne fut pas un roi niais. Il montra parfois beaucoup de courage et de ce sens politique mais son entourage atteignit vite ses limites. Il n’imposa pas sa ligne politique en raison d’un manque de formation et de caractère. Dans un opus intitulé Louis, un homme, un roi, un saint, je dresse un bilan factuel de son action à la tête de l’État royal. 


Contrairement à ce que beaucoup pérorent, Louis XVI travailla très bien durant la première partie de son règne. Cependant, l’idéologie des Lumières imprégnait toutes les couches de la société. De plus, ses frères ne l’aidèrent guère, étant plus souvent des sources de contrariété qu’un soutien réel. Provence lui mit quelques bâtons dans les roues et plaça des chausse-trappes sur son chemin. Son cousin Orléans conspira contre l’autorité légitime en transformant le Palais-Royal - « l'anti-Versailles » - en un centre et un point de ralliement pour les ennemis du gouvernement. Il finit même par devenir régicide. Philippe Égalité reçut le prix du sang pour sa forfaiture : il perdit la vie dans les bras de la guillotine comme son royal cousin.


Encore une fois, quand certains prétendent s’ériger en juges de Louis XVI, qu’ils n’omettent jamais de prendre en compte le contexte familial, politique et social de l’époque. En raison d’une éducation inspirée par la philosophie du Télémaque de Fénelon, il refusa que la troupe militaire tirât sur la foule. Or, un roi à l'image d’un père de famille doit réprimander ses sujets, qui sont aussi ses enfants, quand ces derniers dépassent les bornes des légitimes remontrances.


Petitfils se trompe sur toute la ligne s’il défend l’idée que Louis XVI « aurait été le meilleur roi possible pour la Révolution, s’il n’avait été emporté par elle ». Il aurait été ce très grand roi, s’il avait jugulé la tornade révolutionnaire en mettant les révolutionnaires au pas. Ce ne fut pas le cas. Prenons l’Histoire telle quelle et non selon des vues personnelles…


Il me semble que vous êtes particulièrement attaché à la figure de Louis XVI. Vous êtes allé jusqu’à écrire que vous l'estimez être un saint homme. Pour quelles raisons ?


Je suis, avant tout, très attaché à la réalité historique. De nombreux mensonges sont colportés sur Louis XVI en particulier et sur l’histoire de France en général. Il me paraît essentiel de constamment rappeler que le Roi Martyr ne fut pas le benêt ou le sot que décrit une certaine école historique. Louis XVI porta une véritable action politique à la tête de l’État. Par exemple, il œuvra pour soulager le sort des plus faibles mais rares doivent être les élèves de la prétendue Éducation dite Nationale ayant entendu cette vérité. Certains préfèrent les légendes noires aux faits historiques. Pour preuve, je lis et entends très régulièrement que Marie-Antoinette aurait répondu à la populace se plaignant de manquer de pain : « Qu’ils mangent de la brioche ». Quelle inculture alors que cette anecdote se lit dans Les Confessions de Rousseau au livre VI…


Dans l’étude citée plus haut, j’expose en détail pour quelles raisons je considère Louis XVI comme un saint.  Pour se rendre compte de sa grandeur d’âme, il suffit de relire son Testament dans lequel il témoigne de sa foi et de sa confiance en Dieu. J’invite vraiment les royalistes à diffuser ce dernier écrit politique pour contrebalancer l’insidieuse propagande anti-monarchiste. Après sa lecture, qui pourrait encore penser que Louis XVI fut un tyran ? La république et la démocratie en France sont nées dans le sang royal. La société actuelle tire sa légitimité du démontage de la Bastille, du dépeçage de ses défenseurs, et du sacrilège du 21 janvier 1793. Triste naissance que nous n'oublierons pas.


Louis XVI n’abandonna jamais les trois vertus théologales - foi, espérance, charité - pendant les épreuves affreuses qu’il a vécues. Il fut humilié et torturé psychologiquement. Il supporta tout cela avec patience et bonhomie. Sa foi lui permit de rester digne quand les révolutionnaires le privèrent de sa famille et de ses plus proches collaborateurs. Jamais, il n’exprima de mauvaises paroles à l’égard de ses tortionnaires. Il garda son calme et sa foi en Dieu. Jamais il ne douta du Christ et de Son Église. 


Louis XVI pardonna non seulement de vive voix sur l’échafaud - sa voix fut recouverte par une salve de tambours - et aussi par écrit afin que tout le monde sache bien que sa charité l’emporterait pour toujours sur la folie sans limite de ses tortionnaires. Puisse cette prière de Louis XVI être exaucée : « Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur de la France ».


Vous avez écrit sur Napoléon. Quel aspect de sa personnalité vous fascine le plus chez lui ? Jugez-vous comme Chateaubriand que son œuvre fut stérile ?


Je conseille humblement à vos lecteurs de lire mon dernier ouvrage intitulé : Napoléon, le héros éternel, dans lequel je retrace son parcours et bien plus. Napoléon fut un homme d’actions. Il incarne pour toujours ce « professeur d’énergie » dont parle avec intérêt Maurice Barrès. Ce fut un chef militaire hors pair et un excellent homme d’État. Comme je l’écris dans mon ouvrage : « Napoléon incarne véritablement le panache : seul contre tous ».


Pour comprendre la trajectoire exceptionnelle et unique de Napoléon, gardons sans cesse avoir à l’esprit ce qu’était Ajaccio en 1769. Il s’agissait d’une bourgade quelconque d’une île récemment rattachée au royaume de France. Après des péripéties et des réussites peu ordinaires, il fut couronné Empereur des Français par le Pape Pie VII en 1804. Il remporta de nombreuses batailles contre les armées coalisées. Il épousa une archiduchesse issue de l’une des plus anciennes et prestigieuses familles d’Europe.  « Quel roman que ma vie » aurait-il déclaré… Et il est vrai que sa vie fascine encore en 2024, preuve de l’aura immense de cet homme.


Napoléon, une fois qu'il prit le pouvoir, mit fin à la guerre civile et religieuse en France. Il signa la paix avec les puissances européennes. Il réforma les ministères défaillants et forgea de solides institutions pour notre pays. Il réprima les initiatives dangereuses des révolutionnaires agités et il récompensa les meilleurs serviteurs de l'État. Si les cloches sonnèrent de nouveau à Notre-Dame de Paris, ce fut grâce à Napoléon.


Néanmoins, Napoléon subit toujours des critiques infondées. Il a commis des erreurs, personne ne le nie. Mais faire de lui un raciste, un colonisateur ou un misogyne relève plus du sombre calcul politicien ou d’une recherche de notoriété médiatique que de l’analyse historique sérieuse. Les anachronismes détruisent les saines analyses historiques. Avec cet essai philosophico-politique, je lui rends bien évidemment un hommage mérité. Je tords pareillement le cou à des mensonges tenaces : Napoléon ne fut pas un révolutionnaire, pas plus qu’il ne fut le fossoyeur de la royauté.


Si nous voulons évoquer son règne avec sérieux, il convient de ne jamais oublier la situation catastrophique de la France à la veille de Brumaire. Les caisses avaient été pillées, les émigrés s’agitaient, l’extrême gauche continuait son travail de sape, les coalisés se massaient aux frontières, etc. Napoléon agit avec célérité et efficacité. Le Consulat peut être considéré comme un véritable âge d’or politique. 


Les Anglais rompirent la paix d’Amiens et empruntèrent au cours de l’épopée napoléonienne cinq fois la masse monétaire mondiale de l’époque pour financer des guerres qui perdureront jusqu’au 18 juin 1815. Le fauteur de guerre et le perturbateur de l’ordre public fut le cabinet anglais, non Napoléon.


Chateaubriand écrivait sans aucun doute très bien. Cependant, il ne doit pas être admis comme une référence en matière politique. En effet, il se fourvoya souvent dans ses choix politiques. Il semble difficile voire impossible de considérer l’œuvre napoléonienne comme stérile, quand on sait tout ce que la France contemporaine lui doit, notamment en matière institutionnelle. De plus, les réformes napoléoniennes subirent le sort des créations géniales : elles furent très souvent copiées par de nombreux gouvernements étrangers. Les institutions imposées par Napoléon ont pour la plupart été maintenues après l’Empire, preuve qu’elles donnaient pleinement satisfaction, sinon elles auraient été remplacées…


Aujourd’hui encore, même si cette décoration a perdu de sa superbe, qui n’étale pas un minimum de fierté en arborant une Légion d’honneur, insigne de la gloire ?


Etes-vous, au moins sur le principe, favorable à l’idée de travailler avec d’autres mouvances et personnalités de la droite radicale sur la base d’un « compromis des radicalités » ?


D’une manière générale, il convient de toujours prendre garde aux compromis parce qu’ils peuvent mener aux compromissions. Ceci étant clairement défini, pour une réponse précise de ma part, il aurait fallu définir ce que vous appelez « le compromis des radicalités », tout comme il eut été intéressant de nommer les personnalités de la droite radicale auxquelles vous pensez.

Pour répondre malgré tout à la question, j’écris sans réserve que je suis prêt à travailler avec toutes les personnes de bonne volonté, comme je reste déterminé à apporter une contribution à toute initiative qui œuvre avec intelligence pour l’intérêt des Français et des Européens. 


Les élections européennes approchent. Comptez-vous voter, ou considérez-vous que les Français devraient s’abstenir, comme ils auraient dû le faire depuis 1789 ?


Je suis intimement convaincu que l’élection présidentielle en France reste une mascarade politique à laquelle nous ne devons pas participer. Elle dévore du temps, de l’énergie et de l’argent. Tout ce temps, cette énergie et ces moyens financiers devraient être consacrés à des projets politiques concrets au lieu d’être dilapidés en quelques mois… pour des résultats souvent très décevants. 


Selon le principe de subsidiarité, je prône la participation, autant que faire se peut, aux élections locales, les seules qui conservent un véritable sens. Malheureusement, même dans des villes moyennes, les élections municipales subissent la gangrène de la politique politicienne qui repose sur les mensonges, les compromis, les calculs électoraux, la démagogie, les fausses promesses, la corruption, la prévarication, etc.


Ces élections européennes ne changent rien à la donne habituelle. Il s’agit d’un concours égocentrique au cours duquel les candidats affichent leurs suffisances et se renvoient souvent à la tête des attaques personnelles bien éloignées des vrais enjeux politiques. Cette campagne pour les européennes se pare du voile de la médiocrité et de l’indifférence. De plus, certains entretiennent volontiers la confusion entre élections européennes et enjeux nationaux ce qui ne permet pas, selon moi, de gagner en crédibilité. J’ai suivi de loin deux débats et, en toute objectivité, le niveau se révèle affligeant.


Je considère que chacun doit voter en son âme et conscience. Pour ma part, je ne pourrai pas donner mon suffrage pour une liste dont le représentant n’est ni catholique, ni monarchiste…


Vous défendez une « théocratie pontificale » et une « monarchie de droit divin ». Pouvez-vous développer ces deux idées ?


La monarchie de droit divin se définit comme un régime politique dans lequel le pouvoir du monarque se voit légitimé par Dieu. En France, cela renvoie au Baptême de Clovis que j’ai déjà mentionné. Lors de cette cérémonie, une colombe apporta une fiole à Saint Rémi pour oindre le front du roi païen : « Courbe la tête, fier Sicambre ; adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré ». Clovis était décidé à adorer le Dieu de Clotilde comme il déclara lui-même à la bataille de Tolbiac.


Ce sacrement donné au Roi des Francs revêtait une dimension religieuse et politique. Clovis en se faisant baptiser devenait chrétien catholique. En sens, il appartenait à l’Église de Rome alors que les autres rois germaniques contemporains se déclaraient chrétiens mais étaient ariens. Grâce et par ce baptême, l’Église posait ses jalons pour combattre les fausses doctrines. L’arianisme était défini comme une hérésie depuis le Premier Concile de Nicée en 325.


Il me semble important de rappeler que Saül, le premier roi des Hébreux avait été oint par le prophète Samuel. Ce rite fut ensuite repris lors de la cérémonie du sacre des rois de France, symbolisant le lien particulier entre la monarchie franque, Dieu et son Église. Certains disent même que la monarchie française est davidique… 


J’ai toujours défendu la monarchie car elle incarne la voie/voix de la France pour qu’elle retrouve sa place dans le concert des nations. De plus, elle reste le moins mauvais système ici-bas. Chaque jour, je récite plusieurs fois le Notre Père dans lequel nous lisons tous : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Remettons-nous à Dieu plutôt qu’à des hommes ou des femmes qui deviennent parfois des idoles modernes. Un catholique ne peut pas être idolâtre.


En tant que catholiques, nous devons respecter le pouvoir civil ou le pouvoir temporel. Ce dernier même s’il se distingue du pouvoir surnaturel doit lui être soumis. Ainsi, comprenons la théocratie pontificale comme un système de gouvernement dans lequel l'autorité religieuse et politique se concentre entre les mains du Pape. Celui-ci se trouve à la tête d’une monarchie que nous qualifions de monarchie pontificale. Je précise que l’évêque de Rome porte également le titre de Pontife romain.


La théocratie pontificale puis ses racines dans l'Empire romain tardif. Après la conversion de Constantin au christianisme, l'Église joua un rôle majeur et significatif dans les affaires politiques de l’Empire. La théocratie pontificale atteignit son premier apogée avec la réforme grégorienne au XIème siècle, sous le Pape Grégoire VII. 


Ce dernier affirma le pouvoir suprême du Pape sur l'Église et les souverains séculiers dans ses Dictatus papae, une série de proclamations magnifiques qui stipulaient l'autorité du Pape sur tous les dirigeants chrétiens. En janvier 1077, Henri IV vint à Canossa s'agenouiller devant Grégoire VII afin que celui-ci levât l'excommunication prononcée contre lui. Le Pape imposait la puissance de la papauté face à la plus puissante monarchie temporelle du moment…


Quelques années après cette pénitence, le Concordat de Worms en 1122, qui clôtura la Querelle des Investitures, renforça le pouvoir du Pape en matière de nomination des évêques, affermissant encore plus la théocratie pontificale. Par la suite Innocent III déclara : « De même que la Lune reçoit sa lumière du Soleil, de même la dignité royale n'est qu'un reflet de la dignité pontificale ». La monarchie pontificale connut son acmé à avec ce grand pontificat qui précède, et ce n’est nullement le fruit du hasard, le siècle de Saint Louis, qui sera l’apogée de l’Occident chrétien. 


Boniface VIII fut aussi un des apôtres de la théocratie pontificale. Je cite la Bulle Unam Sanctam : « En conséquence nous déclarons, disons et définissons qu'il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d'être soumise au Pontife romain ». Tout est résumé dans cette simple phrase. La Papauté, étant instituée par Notre Seigneur Jésus-Christ, doit légitimement occuper la première place parmi toutes les institutions terrestres.


Il est déjà difficile d’être plus royaliste que le roi… Mais n’est-il pas encore plus complexe d’être, si j’ose dire, plus papal que le Pape ?


Luis de Molina avait écrit : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Par éducation, par principe et par nature, je n’ai jamais adhéré à une quelconque forme d’extrémisme. Je rejette les deux formes d’extrémisme : celui de la minoration et celui de l’amplification. Lorsqu’on utilise une expression, il convient de rappeler le contexte dans lequel elle fut lancée. Quand Charles X succéda à Louis XVIII, il tenta de satisfaire les Ultras avec une politique plus offensive pour la royauté, politique que certains historiens et politologues ont méjugé en la qualifiant de « réactionnaire ». Cependant pour de nombreux royalistes, Charles X ne conduisit pas assez vite le redressement des principes de l’antique monarchie. 


Le dernier Roi de France fut parfois dépassé par le zèle de ses serviteurs que certains jugèrent impatients et même excessifs. La politique voulue et prônée par les Ultras fut critiquée comme étant « plus royaliste que le roi » parce qu'ils désiraient aller au-delà de ce que le monarque lui-même préconisait pour la restauration pleine et entière de l'autorité royale. Je précise que les royalistes désignés par leurs adversaires comme Ultras récusèrent toujours ce surnom si particulier. Quoiqu’il en fut, Charles X ne conserva pas le pouvoir à cause de ses fautes politiques. La donne aurait-elle été différente avec une politique Ultra ? Laissons de côté cette question pour un futur échange intellectuel.


Cette attitude « plus royaliste que le roi » fut une constante sous la royauté. Tout au long de l’histoire monarchique française, des groupes et des coteries ont estimé que le Roi agissait mal ou pas assez bien. Par exemple, sous Henri III, La Ligue aurait pu être admise comme un mouvement « plus royaliste que le roi ». Je suis intimement convaincu, par principe, de l'importance de demeurer fidèle à la Couronne.


Je ne connais pas cette expression de « plus papal que le Pape » ou de plus « papiste que le Pape », mais je la comprends sans l’approuver. Les catholiques fidèles ne demandent pas au Vicaire du Christ de poser des actes qui le mettraient en dehors de sa fonction. Le Pape est. 


Le Pape se définit, entre autres, comme « la règle prochaine de la foi ». Cette vérité signifie que le Pape, en tant que successeur de Saint Pierre et chef visible de l'Église catholique, détient l'autorité ultime en matière de doctrine et de morale chrétiennes.

Le Pape est le gardien de la foi. Il détient le pouvoir de définir, d’interpréter, de promouvoir et de défendre les enseignements de l'Église. Ce rôle se fonde sur une réalité historique : Jésus-Christ confia à Saint Pierre, et par extension à ses successeurs, la mission de guider l’Église. Le Pape exerce son autorité doctrinale principalement à travers le Magistère et l'enseignement officiel de l'Église. Cela inclut les encycliques, les exhortations apostoliques, les bulles et autres documents pontificaux…


Un catholique doit être soumis au Pape. Il est hors de question d’être plus que lui. Si des catholiques venaient à se transformer en plus « papaux que le Pape », ils se mettraient immédiatement en faute. Pour rappel, un Pape ne peut prononcer d’hérésie. Si un Pape venait à déclarer des hérésies, il perdrait automatiquement son statut de Pape.


Vous avez affirmé défendre et militer pour la « Vérité ». Je vous pose la question très simplement : Qu’est-ce que la Vérité ?


Pour nous catholiques, la Vérité ne nous appartient pas. Nous appartenons à la Vérité. Certains catholiques considèrent, à tort, posséder la Vérité alors qu’Elle nous possède. La vérité demeure un concept central qui recouvre plusieurs dimensions : théologique, philosophique et morale.


L'Église catholique enseigne qu’Elle dispose de l'autorité de préserver, d’interpréter et d’enseigner la Vérité révélée par Dieu. Cet enseignement doctrinal revêt le caractère de l’infaillibilité lorsqu'il est proclamé ex cathedra sur des questions de foi et de mœurs. Pour répondre le plus clairement possible à votre question, j’écris que la vérité ultime procède de Dieu lui-même. Dieu demeure pour l’éternité la source de toute vérité. Le catholicisme est la vraie religion. Lui seul permet le salut des âmes.


La doctrine catholique romaine explique que la raison humaine, bien que limitée, peut connaître et comprendre des vérités fondamentales sur Dieu. La foi et la raison ne s’opposent nullement. Je cite souvent cette phrase éclairante pour rappeler que l’intelligence et la foi ne se conjuguent pas avec le verbe combattre : « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène ». 


Aujourd’hui, les militants politiques catholiques devraient s’en remettre à Dieu, plutôt que de placer un vain espoir dans des chefs faussement catholiques ou professant des mauvaises idées. Notre signe de ralliement ne doit pas être incarné par le drapeau tricolore mais par la bannière du Christ-Roi. 


Dans l'Évangile de Jean, Jésus dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14:6). Cette citation se suffit à elle-même, je n’ai rien d'autre à ajouter sur cette question.



Propos recueillis le 3 juin 2024



FRANCK ABED


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