Entretien de Franck Abed avec Alain Texier de la Charte de Fontevrault

Alain Texier, président fondateur de la Charte de Fontevrault, m’a proposé un entretien écrit. Je l’avais interrogé en 2011 afin qu’il puisse présenter au plus grand nombre son idéal catholique et royaliste. La vidéo est, à ce jour, encore disponible sur internet. Elle conserve tout son intérêt et sa pertinence. Je vous invite tous à la consulter.

Nous nous étions perdus de vus mais nous avons pu reprendre contact à la suite de la publication de mon entretien vidéo avec le professeur Jan-Cédric Hansen qui a découvert un descendant caché des Bourbons par les mâles…

Aujourd’hui, je réponds volontiers aux questions qu’il m’a adressées. 


Alain Texier : Est-il crédible d'être royaliste aujourd'hui ?

Jour après jour, année après année, nous constatons tous que la République incarne le « parti de l’étranger ». La République, de manière institutionnelle, promeut la guerre civile permanente : les riches contre les pauvres, les grands contre les petits, les villes contre les campagnes, les chefs d’entreprises contre les salariés, la vraie gauche contre la fausse droite, etc.

En politique, il demeure vital de désigner l’ennemi prioritaire. Beaucoup se trompent en définissant Macron comme cible numéro un. Ce dernier n’est qu’un pantin. Notre ennemi principal reste toujours le régime républicain. Il est illusoire de vouloir le changer de l’intérieur. Quant à ceux qui rêvent de la conquête de l’Etat par le biais de l’élection présidentielle, ils doivent impérativement abandonner cette chimère dévoreuse de temps, d’argent et d’énergie pour des résultats plus que modestes.

Malheureusement, plusieurs décennies d’échecs ne semblent pas convaincre certains d’arrêter cette stratégie qui consomme littéralement les forces du camp français au sens large du terme. Sans oublier que cette compétition électorale favorise les bas instincts humains et provoque de sempiternelles divisions qui en définitive confortent la République. 

La France vit une crise profonde qui recouvre différents domaines : crise civilisationnelle, crise politique, crise institutionnelle, crise économique et la liste se révèle encore bien longue. En deux centenaires, la République a montré qu’elle n’entendait pas défendre le Bien Commun et les intérêts supérieurs de la France. Il faut donner à la France une institution qui se place au-dessus des partis, des puissances financières et médiatiques. De plus, la monarchie propose cette vision à long terme, forcément essentielle pour mener à bien des projets politiques d’envergure. 

Notre pays est menacé de disparition parce que nos ennemis de l’intérieur et de l’extérieur nous livrent une guerre sans merci. La République se montre véritablement incapable de défendre la France et les plus faibles de nos compatriotes qui en ressentent le besoin. La France doit renouer avec ce que j’appelle le traditionalisme politique français qui repose sur le catholicisme et le monarchisme. Les Français doivent comprendre que notre pays trouve sa source dans le baptême de Clovis et le Sacre de Reims. Être royaliste n’est donc pas une vue de l’esprit, du romantisme ou une pure fantaisie. Il s’agit d’une impérieuse nécessité car si la France ne redevient pas catholique et monarchiste, Elle disparaîtra…

Alain Texier : A quelle époque, sinon celle-ci, auriez-vous préféré vivre ?

En tant que philosophe et historien, j’aurais bien aimé vivre dans différentes époques. La machine à remonter le temps n’existe pas encore, mais je reconnais bien volontiers que découvrir plusieurs civilisations de mes yeux m’auraient fortement intéressé. Plusieurs périodes historiques me passionnent à commencer par le temps de la Bible. Il serait trop long dans le cadre de cet entretien d’évoquer tous les moments que j’aurais aimé vivre mais je peux d’ores et déjà citer le passage de la mer Rouge ou être présent avec les bergers à Bethléem…

N’ayant aucun apriori, ni préjugés, je suis avide de connaissances sur les anciennes civilisations. Je sais que cette diversité des cultures, des histoires, des peuples et des civilisations constitue l’une des principales richesses de l’Humanité. De fait, le projet politique mondialiste qui vise à faire de nous des êtres indifférenciés, sans culture, sans racine, sans religion, sans histoire, mais consommateurs de tout et n’importe quoi, équivaut à un crime contre l’Humanité.

Pour en revenir à la France, certains moments fondateurs méritent vraiment d’être mieux connus et étudiés : Baptême de Clovis, Sacre de Charlemagne, Election de Hugues Capet, victoire de Bouvines, etc. Je n’oublie pas en tant que catholique romain la défense des territoires chrétiens et des populations chrétiennes au Proche-Orient. Ainsi, participer à la reconquête de la Ville Sainte le 15 juillet 1099 ne peut que faire écho à mes aspirations philosophiques, spirituelles et politiques les plus sincères.

Chaque période historique présente ses avantages et ses inconvénients. Il ne faut pas regarder le passé avec les yeux de Chimène tout comme il convient de ne pas jeter un voile sombre sur les événements anciens. Apprenons de notre Histoire et des Histoires car elles sont, et j’insiste là-dessus, riches d’enseignements. Malheureusement, j’ai toujours en tête cette maxime qui conserve toute sa pertinence parce qu’elle correspond vraiment à la réalité : « L’Histoire nous apprend une seule leçon, les leçons de l’Histoire ne sont jamais retenues ». 

Ne soyons pas méprisants ou orgueilleux avec nos Anciens et nos Ancêtres. Effectivement, il ne faut jamais oublier que nous sommes « des nains juchés sur des épaules de géants ».

Alain Texier : La Révolution française vous parait-elle avoir eu un bilan globalement positif ?

Regardons et étudions la Révolution française, sans haine, ni passion et jugeons les faits en toute objectivité. En 1789, le royaume de France méritait de connaître une évolution car la machinerie royale héritée de Louis XIV était quelque peu grippée. Je renvoie dos-à-dos ceux qui vous disent « tout était parfait » et ceux qui déclament « tout était à jeter ». Il y avait des vrais problèmes à combattre et des changements à opérer. Louis XVI le savait parfaitement.

Cependant, pour différentes raisons qu’ils seraient trop long d’évoquer ici, le gouvernement royal ne put conduire les réformes justes et nécessaires. Les révolutionnaires dépassèrent vraiment le sens commun avec l’application de leurs idéologies. Il s’agissait de corriger, d’aménager et non de provoquer la table rase. Les événements révolutionnaires permirent de dégripper la machinerie royale mais ils finirent par tout casser. Par conséquent, les cadres sociaux, religieux, humains, juridiques et même militaires volèrent en éclat pour notre plus grand malheur.

La Révolution a malheureusement permis la guerre du tous contre tous. Le régicide reste une marque indélébile dans le bilan révolutionnaire. Il ne faut jamais oublier – quand nous parlons de République, de Démocratie, de 1789, de 1793 – le sang de la famille de France, des prêtres et de tous les opposants à la Révolution qu’ils fussent nobles ou roturiers. Le rouge sang a cimenté l’ouvrage révolutionnaire.

De même, l’utopie égalitaire de la Révolution promue par les idéologues permet aujourd’hui toutes les dérives que nous connaissons, notamment le non-respect, la profanation, sinon le viol de la loi naturelle. Si aujourd’hui le sacré et la hiérarchie ne sont plus respectés, ce n’est qu’une conséquence parmi tant d’autres de la politique révolutionnaire qui encourage ces folies destructrices. 

La Révolution en niant le réel et en le combattant s’est enfermée dans une logique mortifère. Ce n’est donc pas un hasard si Vergniaud durant son procès lâcha cette juste mais terrible sentence : « La Révolution est comme Saturne : elle dévore ses enfants ». Nous devons comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin revenir au réel et agir au quotidien pour bâtir une société promouvant le Bien Commun…

Alain Texier : Que pensez-vous du positionnement royaliste-providentialiste de la Charte de Fontevrault ?

Le terme royaliste-providentialiste me paraît confus voire maladroit car il s’agit d’un pléonasme. Par définition, un catholique-royaliste est forcément providentialiste au sens de soumis à la divine providence. Le contraire serait étonnant… En réalité, le terme providentialiste est dévoyé depuis trop dannées. La majorité des gens qui se dit royaliste-providentialiste estime qu’il faut seulement prier et attendre que Dieu nous envoie le Roi qui relèvera la France. Cette attitude ou plus exactement cette posture ne riment pas avec le providentialisme. C’est autre chose. Il s’agit d’une forme de résignation qui consiste à rester chez soi ou à pratiquer l’entre-soi. Il ne sert à rien à de désespérer d’une solution politique ou d’attendre que le merveilleux s’accomplisse.

En son temps, Jeanne d’Arc avait dit : « En nom Dieu, les gens d’armes combattront, et Dieu leur donnera la victoire ». Cette phrase résume très bien la réalité surnaturelle et naturelle de tous nos combats. Nous devons, certes, prier mais il convient également d’agir dans la société. Prier sans agir c’est semer sans récolter, agir sans prier, c’est vouloir récolter sans semer. On ne change pas une société en restant à la maison ou en diffusant des idées, aussi justes et bonnes soient-elles, sur le net. Je le répète sans cesse : la politique c’est le réel et surtout la confrontation au réel. Beaucoup de royalistes, toutes tendances confondues, défendent leurs certitudes mais ces dernières n’entrent presque jamais en confrontation avec le réel, d’où l’échec des royalistes à changer la société depuis plusieurs décennies. 

Vouloir l’union des royalistes me paraît louable, juste et nécessaire. Sans union, nous ne pourrons pas inverser le cours des événements : « Si une maison est divisée contré elle-même, cette maison ne peut subsister » (Marc 3 - 25). Toutefois la volonté de l’union ne doit jamais faire l’économie des questions philosophiques et doctrinales. Je suis soumis à Dieu et à Sa Volonté tout en oubliant jamais qu’Il ne peut pas se contredire car la « cohérence est le moteur de la vérité ».

Le pardon des offenses doit bien évidemment être pratiqué ainsi que la recherche de la charité en toute chose. A temps et à contre-temps, comme l’écrivit très justement l’apôtre Paul, allons à la rencontre de nos compatriotes pour leur diffuser la Bonne Nouvelle (le catholicisme) et la Bonne Parole (la royauté)…

Alain Texier : Avez-vous une maxime qui vous guide dans la vie de tous les jours ?

Je suis parisien et j’apprécie beaucoup la devise de ma ville, Fluctuat Nec Mergitur, qui peut se traduire : Battu par les flots mais ne sombre pas. Les navires de l’Eglise et du Royaume de France subissent depuis des années les pires tempêtes mais je suis intimement convaincu qu’ils parviendront à bon port. Les temps sont difficiles, très difficiles même, mais je garde constamment la Foi et je cultive l’Espérance. 

Dieu n’abandonnera ni l’Eglise, ni la France. Il avait Lui-même enseigné : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu deux » (Matthieu 18 : 20). Trop souvent malheureusement, les militants politiques - royalistes ou non - oublient cette parole de Notre Seigneur. Ils ne s’en remettent pas assez à Dieu et comptent sur leurs seules forces pour entreprendre leurs projets. Dieu premier servi ne peut être assimilé à un slogan ou réduit à une formule balancée à l’emporte-pièce pour satisfaire un auditoire ou des lecteurs. Dieu premier servi doit être notre raison de vivre, comme pour les moines bénédictins qui ont fait notre civilisation : nihil operi Dei praeponatur – ne rien placer avant l’œuvre de Dieu.

Notre Foi est capable de déplacer des montagnes. Si nous avons la Foi et confiance dans Notre Seigneur Jésus-Christ, je suis intimement convaincu que nous pourrons enfin restaurer le royaume des Lys pour la plus grande gloire de Dieu et de l’Eglise.


Propos recueillis le 6 avril 2023


FRANCK ABED


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