27 février 1594, le couronnement du roi Henri IV : la fin des guerres civiles ?

 Considérations générales


Le royaume de France, depuis l’an de grâce 496, date de sa naissance suite au baptême de Clovis, a connu des périodes de gloire et des revers de fortune. La deuxième partie du XVIème siècle, en France, fut une période véritablement troublée par les guerres civiles et de religions. Pour preuve, de 1562 à 1598, les Guerres de Religion ravagèrent le royaume. Il y en eut principalement huit qui opposèrent les catholiques aux protestants. Le pouvoir royal, incarné à cette époque-là par les Valois-Angoulême, ne sut pas endiguer les affres de la guerre civile. 

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Effectivement, hésitant entre modération, fermeté et soutien aux catholiques, il ne donna pas la pleine mesure de son autorité qui fut souvent contestée aussi bien par les protestants que par les catholiques. Après une énième guerre civile, la dernière du siècle, Henri IV scella la concorde sur personne royale entre toutes les factions politiques et religieuses. Il remporta la guerre puis gagna la paix. Il accorda le huitième édit de tolérance, le fameux édit de Nantes qui, pour une fois, fut respecté. Henri IV n’entendait pas que son royal pouvoir fut contesté. Mais avant d’en arriver là, il dut affronter maintes péripéties…

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De la France royale 

Le 27 février 1594, les habitants de la ville de Chartres regardaient Henri, roi de Navarre, devenir roi de France. A cet instant précis, quand le premier roi Bourbon ceignit l’antique couronne, il n’était plus un quelconque chef de faction. De fait, il incarnait enfin, du moins en théorie, l’union des Français derrière leur souverain légitime. Pourtant, chacun sait ou devrait savoir que le sacre du roi de France se déroulait depuis des lustres à Reims… Louis le Pieux, fils de l’illustre Charlemagne, fut le premier à s’y faire sacrer le 5 octobre 816. Cet acte religieux éminemment politique renvoyait incontestablement à Clovis qui fut baptisé avec 3 000 de ses guerriers à Reims par l’évêque Saint Remi en 496. La coutume était née. Pour preuve, sous les Capétiens avant Henri de Navarre, seuls trois rois ne furent pas sacrés à Reims : Hugues Capet, Robert II et Louis VI. 


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Il demeure important de rappeler que le geste essentiel de cette aéronomie reste le sacre, comprendre l'onction de l’huile sainte sur le corps du roi. Le couronnement, le fait de recevoir ou de mettre la couronne sur la tête royale, revêtait un caractère important, mais il n’atteignait pas le caractère décisif de l’onction. Cette dernière rappelait la filiation spirituelle avec David, modèle du roi biblique, qui fut l’oint du seigneur. Les peuples de France, tous chrétiens dans une très large majorité, savaient que le roi de France tenait lieu de Dieu sur Terre d’où la formule suivante : Le roi de France est lieutenant de Dieu sur Terre. Cela permettait d’insister sur une distinction essentielle en comparaison des autres monarchies européennes pour lesquelles le couronnement était l’acte premier. Le roi de France tenait sa couronne de Dieu seul et pour marquer son indépendance face à ses ennemis, notamment avec les monarques du Saint Empire de la nation germanique, les légistes français théorisaient que le « roi de France est empereur en ce royaume ».

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Ces précisions politiques, juridiques, religieuses expliquaient en définitive que « toute autorité vient de Dieu » selon les enseignements du prophète des Gentils, l’apôtre Paul. Le Roi de France se trouvait donc en haut de la pyramide sociale. Subséquemment, il n’était pas tenu par un accord ou une alliance avec les grands du royaume, comme en Angleterre par exemple, pas plus qu’il n’était lié aux puissances terrestres, qu’elles fussent financières ou politiques. Concrètement le pouvoir du roi ne dépendait pas non plus d’un contrat avec le peuple, raison pour laquelle la monarchie française était dite absolue, c’est-à-dire déliée des contingences humaines et politiques bien souvent basses. Le sacre n’était pas une affaire de choix personnel, de convention sociale, de romantisme ou de sentimentalisme. Il symbolisait au contraire l’union du Trône et de l’Autel, l’alliance de Dieu et du roi de France et puisait sa légitimité dans l’histoire de France ainsi que dans l’histoire Biblique, comprendre du peuple élu par Dieu.

Un royaume en crise 

Cependant, depuis des années, c’est-à-dire depuis le début du siècle, une idée nouvelle venue de l’étranger bousculait les fondamentaux religieux, politiques et sociaux plutôt bien établis en France et en Europe. Des clercs contestataires à l’autorité papale et aux dogmes de l’Eglise sonnèrent la révolte. Luther et Calvin, pour ne citer que les deux plus connus parmi les rebelles à l’Eglise catholique romaine, réussirent là ou Jan Huss, réformateur tchèque mort sur le bûcher le 6 juillet 1415, avait échoué. Effectivement, ils parvinrent à donner un puissant écho à leurs idées au point que la noblesse de France et une partie du peuple succombèrent au mouvement réformé. Le cœur de l’Europe subit également cette tourmente intellectuelle condamnée très rapidement par l’autorité papale. Mais le mal était fait, le germe de la division s’implantait sur le vieux continent.


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Pourtant, le début du siècle avait bien commencé en France. François Ier et Henri II manœuvrèrent avec force et sagesse pour imposer leurs vues. Mais le sort en décida
  autrement. Henri II mourut accidentellement lors d’un tournoi de chevalerie. Il laissait quatre enfants en bas âge. Les plus érudits se rappelaient du verset biblique tiré de l’Ecclésiaste : « Malheur au pays dont le roi est un enfant ».  Trois des enfants de Henri devinrent roi mais aucun d’eux ne laissa d’héritier. En effet, François II succéda à son père et décéda jeune. Son frère Charles IV fut roi à 10 ans et mourut à 24 ans, sans héritier. Henri III prit la suite de son frère et rejoignit ses frères au Ciel sans laisser un dauphin derrière lui. Sa mort sonna la fin de la maison capétienne de Valois qui régna sur la France de 1328 à 1589. Avant de mourir, il rencontra une dernière fois son héritier, le fameux Henri de Navarre. A cette occasion il demanda à ses conseillers et serviteurs, alors qu’il agonisait sur son lit de mort, de respecter les règles de succession de la couronne et de servir dans la fidélité l’hériter et futur roi.

Comment en étions-nous arrivés là ? Pour rappel, Henri III succomba à ses blessures le 2 août 1589. Il avait été frappé au bas ventre à l’aide d’un poignard aiguisé par un moine dénommé Jacques Clément, que d’aucuns jugeaient fanatique voire extrémiste. Il fut immédiatement tué par les gardes royaux alors que Bernard de Montsérié demanda à ses compagnons de ne pas l’occire immédiatement pour pouvoir l’interroger. Dans son esprit, et il avait certainement raison, l’autorité royale devait savoir s’il avait agi seul, tel un loup solitaire, ou s’il n’était qu’un maillon d’un vaste complot aux ramifications internationales… Nul ne put l’interroger, les gardes royaux lui réglèrent son compte promptement. 

Dans une chrétienté divisée par les querelles politiques et religieuses, les camps en présence regardaient différemment le geste de Clément. Les uns estimaient qu’il s’agissait d’un parricide, les autres considéraient cet acte comme un tyrannicide. Dans le premier cas, le moine tueur était vu tel un ennemi de Dieu, dans le second cas, il devenait un ange de justice. Loin de ses querelles théologiques que certaines jugeront byzantines, l’urgence n’attendait pas en ce début de mois d’été pour le royaume de France.


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Véritablement, une crise de succession risquait de naître pour un double motif. En premier lieu, et contrairement à de nombreux Capétiens, le dernier monarque de la dynastie des Valois ne laissait pas un héritier. En second lieu, le successeur désigné par les Lois Fondamentales du royaume était son cousin Henri de Navarre, car plus proche parent mâle, mais il était de confession huguenote. Un roi réformé sur le trône de France, c’était véritablement impossible. De plus, ce royaume, lointain héritage de Clovis et de tant de grands rois comme Saint Louis, ne pouvait nullement revenir à une femme, même de confession catholique, selon le fameux adage que « 
le royaume de France ne tombe point en quenouille ». La quenouille était un outil pour filer et ce travail de filature n’était réalisé que par les femmes. C’était une époque, oserions-nous dire normale,  ou les femmes étaient femmes et les hommes des hommes…

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Tout ceci étant expliqué, rappelons volontiers que les guerres civiles sont souvent les pires car les belligérants affrontent des amis, des cousins, des frères, des parents. De plus, le fanatisme religieux excite les âmes et les consciences car de nombreux combattants estiment lutter pour Dieu et la foi. Ces guerres de religion qui gâtèrent le royaume durant trois décennies ne peuvent pas être réduites à des escarmouches ou à une simple guerre d’embuscade. Des sièges et des batailles rangées furent menées pour le plus grand malheur de la masse des sujets. Les Français désiraient vivre en paix sous le regard bienveillant de Messire Dieu qui doit être « premier servi » selon la sainte sentence de Jeanne d’Arc, la Pucelle de la Patrie. Toutefois ce royaume chrétien puis catholique pouvait-il vivre réellement en paix avec un prince protestant à sa tête ? Poser la question revient à y répondre… Henri de Navarre devait gagner et devenir catholique, ou l’inverse. Ses adversaires, notamment les Guise, avaient raison sur un point : en tant que protestant, Henri ne pouvait pas monter sur le trône de France. Toutefois, ils eurent probablement tort de vouloir imposer leur candidat tels des républicains ou des démocrates. En France, on ne choisit pas son roi…

Un roi bon, pacificateur et proche du peuple 

La question que beaucoup se posent maintenant est la suivante : pour quelles raisons Chartres, cette ville de province, accueillit-elle l’auguste cérémonie qui renforça grandement la légitimité du premier roi de la maison de Bourbon ? Les feux de la guerre brûlaient encore au royaume des lys. Par conséquent la ville de Saint Remi se trouvait entre les solides mains des Ligueurs et de la puissante famille de Guise, ennemi juré du futur nouveau roi légitime. Les temps se montraient troublés en cette fin de siècle. Ce puissant royaume était malheureusement empêtré dans une double guerre : une politique, en réalité civile, et une religieuse. La France perdait ses forces vives dans ses épuisantes guerres de religion. Les autres royaumes d’Europe se réjouissaient de voir les descendants de Saint Louis préoccupés par d’interminables combats et querelles intellectuelles…

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Nonobstant le droit qui lui conférait sa réelle légitimité, Henri devait abjurer sa religion pour pouvoir se faire sacrer. Beaucoup de catholiques, de la plèbe et de la noblesse, serviteurs directs ou indirects de la couronne de France espéraient la paix après les dévastations provoquées par ces guerres de Religion. Mais ils craignaient la vengeance du futur maître de la France tout comme ils se méfiaient de sa sincérité. Henri de Navarre était né catholique et il avait abjuré plusieurs fois les deux religions. Etait-il possible de faire confiance à un homme qui change de religion et d’humeur politique au fil des saisons ? D’autres diront qu’il passa joyeusement de l’une à l’autre pour maintenir sa vie sauve. 

Henri de Navarre s’était-il montré pragmatique ? Avant son abjuration, des docteurs de l’Eglise le soumirent à la question parce qu’entre temps il avait suivi des cours de catéchisme. A l’interrogation, lui demandant s'il priait en français ou en latin, il leur répondit de manière très habile : « Ni l'un, ni l'autre. Je prie en Béarnais, comme mon grand-père me l'a appris ». Attachait-il de limportance aux dogmes et aux questions liées à la Révélation ? Quoiquil en fut, après toutes ces années de lutte, de privations, de coups fourrés, il savait dans son cœur et par son sens de l’analyse politique que le protestantisme qu’il professait constituait un éternel et inébranlable mur entre lui et le sacre.

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La décision du reniement fut difficile à prendre mais il finit par comprendre que c’était un passage obligé et non négociable. Il abjura solennellement le protestantisme le 25 juillet 1593 à la Basilique Saint-Denis où il fut baptisé par Jacques Davy du Perron. Rien ne lui était encore acquis et le plus dur restait à gagner. Les portes de Reims ne s’ouvriraient pas devant Henri de Navarre. Mais il connaissait l’importance mystique et politique du Sacre auprès des Grands et des peuples de France. La décision fut prise : il serait sacré à Chartes malgré la tradition bien ancrée de la consécration à Reims. L’Eglise en France avait fait son choix qui ne souffrait d’aucune contestation. Ainsi, au tout début de l'année 1594, la très grande partie du bas et haut clergé se déclarait favorable pour Henri : 14 archevêques et 104 évêques soutenaient celui-ci, tandis que 3 archevêques et 15 évêques, favorables à la Ligue, s’opposaient à lui.

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Il ne pouvait pas se faire couronner à Paris, ni à Saint-Denis car il aurait fallu se battre. Certains lui expliquèrent qu’il pourrait se faire sacrer à la cathédrale d’Orléans parce que Louis VI y avait été sacré. Après réflexions, il ne retint pas cette solution préférant une ville sous son autorité et plus proche de Paris pour que les éminents représentants du clergé et de la haute noblesse pussent s’y rendre sans trop de difficultés. Les faits lui donnèrent raison. La cérémonie, pleine de pompe et de magnificence, se déroula le 27 février 1594 dans une ville en liesse. Les cris de « Vive le Roi » retentissaient et l’assemblée profitait de cet instant de bonheur. De nombreux sujets du royaume espéraient que la paix reviendrait rapidement. Les catholiques, hésitants jusqu’alors, se rallièrent à Henri IV qui les accueillit sans le moindre reproche. La Ligue, bien que minoritaire, ne voulait pas baisser les armes. Henri IV n’avait pas encore la tête tournée à la guerre. Il profitait de la journée et pensait malgré tout au jour d’après…

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La fin de trente ans de guerres civiles ?

Un mois après, le 22 mars, Henri IV de France, entra dans sa capitale sans avoir livré un combat, sans massacre, sans mort, sans effusion de sang. C’était une bien belle victoire pour le tout récent roi qui, à l’occasion, sut s’élever au-dessus « des rancunes et des partis ». En effet, Henri IV montra un réel sens politique en ne cherchant pas à se venger de ses anciens ennemis. La construction de son image de roi pacificateur et juste était déjà en marche… 

Le sacre de Reims lui permit de renouer avec la tradition politique et religieuse de la monarchie capétienne. Les ralliements s’accéléraient car Henri avait reçu la sainte huile sur son corps. Les derniers bastions hostiles à l’ancien prince protestant finirent tous par tomber. Le duc de Mercœur l’un des seigneurs les plus puissants du royaume, se retrouva isolé. Il se soumit au nouveau roi après avoir négocié très habilement. Il renonça au gouvernement de la Bretagne contre le versement d’un dédommagement estimé à de plus de quatre millions de livres. 

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De plus, sa fille se maria à César de Bourbon, duc de Vendôme, fils bâtard dHenri IV, qui devint gouverneur de Bretagne à sa place. Cette reddition complète marqua la fin de la guerre qui se termina officiellement le 13 avril 1598, lorsque Henri IV signa l’édit de Nantes. Cette nouvelle loi rétablissait la paix religieuse en octroyant aux protestants la liberté de conscience et un large exercice public de leur culte. Ces larges concessions portaient en germe les futures divisions… Mais Henri ne voyait pas aussi loin. Il voulut la paix à l’intérieur et très rapidement : c’était fait. Par la suite, il gagna la paix à l’extérieur par le traité de Vervins conclu avec le roi dEspagne le 2 mai 1598.

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Henri IV incarnait la pacification politique et confessionnelle. Néanmoins, la situation de la France dans le royaume était critique. Les guerres de Religion avaient provoqué l’appauvrissement de la population. Les ponts, les canaux et les routes étaient détruits ou en mauvais état. De nombreuses terres ne nourrissaient plus les familles des campagnes et plusieurs villes rencontraient de réelles difficultés pour s’approvisionner. La tâche pour le Roi et son gouvernement ne s’apparentait nullement à une sinécure. Il ne peut mener tous ses projets à leur terme car il fut assassiné par Ravaillac à Paris, rue de la Ferronnerie. Le « 
bon roi » Henri succomba, comme son cousin Henri III, d’un coup de poignard. Les guerres civiles n’étaient en définitive terminées que pour un temps. Le poison de la division enflammerait les règnes de ses fils (Louis XIII) et petits-fils (Louis XIV). Les Frondes, ces jouets d’enfant, deviendront le symbole de la contestation à l’autorité royale mais ceci est une autre histoire tout aussi passionnante mais complexe…


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Franck Abed


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