J’ai vu la série Germinal


Une fois n’est pas coutume, j’ai regardé une série franco-italienne diffusée par le service public de télévision, intitulée Germinal. Courte ou longue de six épisodes, chacun se positionnera comme il l’entend, elle a plus que retenu mon attention. 

Pour rappel, la grande grève des mineurs d'Anzin débute le 2 mars 1884. Plus de 10 000 grévistes luttent pendant 56 jours. La presse traite longuement le sujet au point que son retentissement devient national. Mais en définitive, la Compagnie des mines ne céda pas et les mineurs durent reprendre le travail le 17 avril (1). Cet événement populaire et militant marqua durablement le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, comme on disait alors…


Plusieurs spectateurs ont commis l’une ou l’autre de ces erreurs en regardant et en donnant leurs avis sur cette série : la comparer au grand film réalisé en 1993 par Claude Berri avec Miou-Miou, Renaud, Gérard Depardieu et Jean Carmet ; considérer qu’il s’agissait d’une adaptation fidèle du treizième roman de la série des Rougon-Macquart écrit par Emile Zola en 1884. 


Je l’ai regardée sans préjugé, ni a priori, tout en ne projetant pas ma vision du livre et du film sur cette nouvelle œuvre. Effectivement, je ne compare pas une série de six épisodes de 52 minutes chacun avec un film d’une durée de 110 minutes, pas plus que je n’oublie qu’il s’agit d’une adaptation. Cette dernière a pris quelques libertés avec le texte original que j’ai, je le confesse volontiers, grandement apprécié quand j’ai eu à le lire et l’étudier. 


La série Germinal se montre de mon point de vue très captivante car elle propose de véritables enseignements. Il faudrait impérativement la montrer aux indigénistes et aux racistes anti-français qui nous invoquent sans cesse le fameux « privilège blanc » (2). L’ascenseur dans lequel se tassaient les mineurs ne montait pas au ciel. Ce puits qu’ils empruntaient six jours sur sept les menaient directement à un enfer de souffrances et de larmes. Le coup de grisou soufflait souvent au moment où les gueules noires l’attendaient le moins. Et je n’oublie pas d’évoquer la silicose qui détruisit les poumons de plusieurs générations de mineurs.




Nous pouvons aussi avoir une pensée pour les mineurs chinois, qui travaillent au sein d’un état totalitaire dans les mines les plus profondes du monde.


Cela dit, je pense qu’il convient, pour bien apprécier cette nouvelle version de Germinal, d’écarter de sa réflexion certaines facilités scénaristiques et d’oublier cette histoire d’adultère entre une femme et son neveu par alliance. Ce cocufiage n’apporte pas grand chose aux passionnants thèmes évoqués. Dans le même ordre d’idée, quel est l’intérêt de montrer cette séquence, certes plutôt courte et furtive, de rapport sexuel non désiré ? Ce genre de production télévisuelle pourrait être regardée par les plus jeunes car elle permettrait à des lycéens voire à des collégiens de découvrir autrement l’histoire des mineurs . Il ne sert donc à rien de diffuser des scènes choquantes s’éloignant fortement du cœur des sujets développés. 



Ceci étant précisé, j’écris que Germinal montre avec talent et pédagogie - nonobstant les réserves présentées plus haut - le travail des enfants, la misère, le froid, la faim, la crasse, le sale, et le cynisme d’une certaine bourgeoisie. La violence exercée par les puissants à l’endroit des plus faibles est effroyable. Que certains arrêtent par conséquent de dire : « Avant c’était mieux ». Et que d’autres cessent immédiatement d’insulter notre histoire et nos ancêtres : les Français, dans une très large majorité, ne furent pas des fainéants, des privilégiés, des accapareurs et des profiteurs. 


Je reste intimement convaincu que le combat des plus faibles, quelles que soient les époques, doit être respecté, plus encore quand on connaît les difficultés de la vie d’avant. Les six épisodes narrent le combat syndicaliste, l’organisation des prolétaires pour faire respecter leurs droits, la vie dans les corons, le rôle de la gent féminine et comment les espoirs d’un monde meilleur s’évanouirent face au mur implacable de la finance libérale (3).


Toutefois, Germinal ne nous montre pas que du négatif, du sombre, et du désespoir. Il a aussi existé des solidarités, de l’entraide, des amitiés fortes, du courage et beaucoup de dévouement. Malgré tout, ne sombrons pas dans le romantisme : les gouvernements ont parfois eu recours à l’armée pour mater les révoltes du tréfonds des mines… Cette série nous rappelle que le temps du charbon est en Europe derrière nous. Heureusement ! Néanmoins, elle permet également de mesurer que les bas salaires, le chantage au travail ou au chômage (« Allez voir ailleurs si vous n’êtes pas contents »), l’injustice des chefs et le harcèlement pour maintenir des cadences élevées existent encore trop souvent dans notre France du XXIème siècle. 


Plusieurs passages s’avèrent fort intéressants dans cette série. J’en citerai principalement trois. Le premier met en lumière combien les actions et les œuvres de charité (4) organisées par les riches dominants pour se donner bonne conscience incarnent à la perfection l’hypocrisie et la mesquinerie. Le deuxième intervient quand un papy tient un livre, avec ses deux mains abîmées par des années de labeur, pour faire la lecture à sa petite-fille souffrante. Quand la caméra se rapproche du bouquin, celui-ci est vide de pages. Le grand-père invente donc une histoire et l’autre plan montre des feuilles imprimées se consumer dans un poêle. Cette famille ne disposait pas de ressources pour se chauffer… Terrible !


Le troisième et dernier passage que je mets en avant se révèle certainement le plus instructif : lorsque les mineurs français décident de mener la grève et que celle-ci dure, le patronat appelle à la rescousse des mineurs belges. Cela ressemble étrangement au phénomène similaire qui émergea en France vers les années 1960-1970. Cette stratégie de l’appel d’air, par un apport extérieur de travailleurs immigrés, permet aux capitalistes d’horizontaliser le combat politique et d’éviter la verticalisation qui aurait pu mener un rééquilibrage des rapports de force. Cependant, dans la série, comme dans la vraie vie, des solutions sont trouvées pour sortir de l’impasse : la force légale brise la grève tandis que les représentants syndicaux baissent le poing car ils sont amadoués de diverses manières - un peu comme aujourd’hui…




Le paradoxe se situe là et Germinal l’expose très bien avec l’arrivée de mineurs étrangers : le monde du travail est simultanément éclaté en dix mille morceaux et fortement globalisé. Les capitalistes libéraux prennent la planète pour un jeu de Monopoly géant dans lequel la justice et la paix semblent n’être que des mots grossiers (5). Alors que la France reste la sixième puissance mondiale, il y avait en 2018 presque 10 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté. Rappelons qu’en 2021, celui-ci est fixé à 1.063 euros pour une personne seule - au moment même où les cours de la Bourse s’envolent et que le CAC 40 bat des records (6).


En décembre de cette année, la France compte un peu plus de 5,5 millions de chômeurs alors que le gouvernement macronien s’auto-félicite de son action sociale et politique. Pitoyable ! Le combat continue et Germinal nous rappelle une logique implacable : le fort écrase le faible quand il ne se soucie que de son intérêt bassement matériel et financier. 





Luttons et œuvrons pour le Bien Commun en gardant en tête que nous ne pourrons jamais faire l’économie de la question sociale. Je souhaite vraiment que le Saint Siège publie le Rerum novarum (7) du XXIème siècle.  J’ai vu la série Germinal…



Franck Abed




(1) C’est à cette occasion qu'Émile Zola vint se documenter à Anzin pour son roman Germinal


(2) Le privilège blanc (ou privilège de la peau blanche) est une expression utilisée pour la première fois en 1988 par l'Américaine Peggy McIntosh, afin d'exprimer la thèse selon laquelle les personnes blanches bénéficieraient sans s'en rendre compte dans les pays occidentaux de privilèges sociaux, sociétaux, politiques ou économiques, qui ne seraient pas accordés aux personnes non blanches dans le même contexte.


(3) « Deux ou trois choses que l’on ne vous dit jamais sur le capitalisme par Ha-Joon Chang », août 2019, article de l’auteur 


(4) « Penser le don avec Marcel Mauss par Olivier Masclef », mai 2018, article de l’auteur


(5) « L’impasse libérale par Philippe Arondel », juillet 2019, article de l’auteur


(6) L'indice phare de la Bourse de Paris a franchi le seuil des 7.000 points pour la première fois de son histoire le vendredi 4 novembre 2021.


(7) Rerum novarum est une encyclique publiée le 15 mai 1891 par le pape Léon XIII (1810-1903). Elle commence ainsi : Rerum novarum semel excitata cupidine (Le désir de choses nouvelles une fois suscité). Le texte évoque la question sociale et condamne « la misère et la pauvreté qui pèsent injustement sur la majeure partie de la classe ouvrière » ainsi que « le socialisme athée ». Elle critique également les excès du capitalisme et promeut le catholicisme social et son corollaire le syndicalisme chrétien. 


Commentaires

  1. Je n'ai eu de cesse pendant la lecture de penser à la célèbre chanson de Pierre Bachelet haha !

    Superbe article en tout cas, vous passez de beaux messages à certaines personnes en accordant de l'importance à cette sombre période de notre histoire.

    Continuez votre travail ainsi ! Je me serais laissé tenté par le contenu présenté si j'étais friand de séries !

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